30 mars 2011

Chronique du dérisoire

Dérisoire. C'est le premier mot qui m'est venu à l'esprit en pensant aux efforts déployés par une poignée  de sacrifiés chargés de déverser de l'eau dans une piscine de combustible nucléaire depuis un hélicoptère. Ce qui revient à peu près à remplir une casserole d'eau bouillante en voie d'évaporation avec une petite cuillère.

Dérisoires nos vies, nos espoirs, nos amours, à la merci de la prochaine catastrophe technologique qui nous tombera dessus un de ces jours. Dérisoires nos efforts pour trier les déchets, éteindre la lumière, économiser l'eau : à quoi servent-ils, comparés à de telles catastrophes ?

Avant, je savais confusément -comme tout le monde probablement- que 80% à peu près de l'énergie produite en France était d'origine nucléaire. J'en tirais une vague fierté, parce que c'était mon papa que me l'avait dit, et qu'il avait l'air content de cet état de fait. Et puis le reste du temps, ça ne m'inspirait pas plus que ça. Je m'éclairais, me chauffais, cuisinais, allais sur internet et jouais à Oblivion grâce à l'énergie nucléaire, sans y penser une seule seconde. Si nos gouvernements successifs avaient souhaité, mis en place et entretenu ce système, c'était sûrement pour une très bonne raison et puis, qu'est ce que j'y connaissais, moi ?

80% de l'électricité produite en France est d'origine nucléaire. Aujourd'hui, j'ai peur. (1)

Car la catastrophe est arrivée. D'abord un tremblement de terre - c'est au Japon, ils ont l'habitude, et de toute façon ils sont bien préparés. Et c'est si loin le Japon. Puis sont venues les premières estimations du nombre de morts, dérisoires, qui confortent l'idée que ce n'est qu'un incident banal pour le nippon moyen, et que décidément, elle est belle cette technologie qui permet de faire fi des caprices de la nature. Mais un doute  subsiste tout de même vu la magnitude annoncée.

Ensuite, l'accident nucléaire. Je dis accident parce que je ne suis pas très doué pour les formules creuses. L'événement a été qualifié au fil des heures d'incident, d'accident, de problème, de non-catastrophe, un peu comme une guerre qui ne doit pas dire son nom, l'innommable se produisait devant nos yeux et se parait des atours de la langue de bois officielle. Les déclarations rassurantes succédant aux communiqués lénifiants, on s'est installé dans un ronron médiatique qui n'est pas sans évoquer le bruit de fond d'un ballet d'hélicoptères.

Dérisoires marionnettes politiques décrétant sur quel sujet il est décent de débattre. Dérisoires spécialistes pontifiant au 20 heure. Dérisoires moulins à paroles usés pour avoir trop menti. Diraient-ils la vérité qu'ils ne seraient pas cru.

Dérisoires journaux, dérisoires médias, dérisoires lecteurs vite lassés par cette catastrophe annoncée qui n'en finit pas de venir. En deux semaines à peine, j'ai l'impression navrante que tout le monde est passé à autre chose. Une "opération humanitaire" pilotée par l'OTAN, avec son cortège d'euphémismes. Quelques soucis de politique intérieure pour un président en exercice. Des débats qui n'intéressent personne sur la religion, pour ne pas dire une religion. Des équipes sportives qui gagnent, perdent, font match nul. En un mot, le train-train quotidien.

Dérisoire internet, dérisoire Twitter soi-disant pourvoyeur de révolutions. Savez-vous de quoi on parle sur Twitter ce matin ? De la rumeur autour de la fausse mort de Jackie Chan. Pendant ce temps, à Fukushima, des hommes continuent de se battre contre un ennemi invisible. Ne les oublions pas. Même si ils sont déjà morts.

C'est si peu de choses, une vie humaine. C'est tellement dérisoire.

***

(1) Illustration : Information is beautiful : Radiation dosage chart - Creative Commons Attribution Non commercial - David McCandless

4 commentaires:

  1. Mince alors, j'ai perdu de ma verve depuis tout à l'heure. Une des choses qui me frappe dans nos sociétés "policés" ou l'on s'égoiste on nom du un max pour moi et le moins pour les autres, c'est qu'on arrive (par je ne sais trop quel subterfuge) à nous faire croire qu'on est une masse aussi. En nous faisant oublier, que l'on peut être un individu autre qu'un mouton de Panurge et qu'on peut aussi en tant que tout petit individu et à sa toute petite échelle faire quelque chose. Les petits fleuves font les grandes rivières. Naiveté ? Je ne sais pas, mais je ne crois pas. Tu vois j'ai un jardin, exempt de pesticide, engrais chimique, insecticide et j'en passe, avec des "mauvaises" herbes (qui n'ont de mauvais que de ne pas pousser là ou je voudrais, je préfère adventice) un entretien qui n'ai pas vraiment digne de Lenotre (pas le patissier hein ;-)) et dans mon jardin (qui fait dire parfois à d'aucun depuis la rue : eh bien c'est pas très propre) mi sauvage, mi apprivoisé, il ya une mare avec des salamandres, des espèces en voies d'extinction qui ont trouvé un petit havre de paix où se reproduire (et elles s'en donne à coeur joie !) Ce n'est pas grand chose, mais c'est une petite chose. Je crois que si un réveil de conscience se fait, il se fera, ni par la politique, ni par les banques pais par le bas, puisque le haut c'est ce qui décide (tu parles et que c'est à chacun de créer un composteur ou il peut recycler lui même une partie de ses déchets (c'est sur ce sera pas incinéré) encourager si les moyens le permettent les économies d'énergie et les économies renouvelables et j'en passe. Nettoyer la nature des déchets qui y trainent, adopter un comportement citoyen, celui là même que les politiques devraient adopter pour donner l'exemple, pour que les mioches des futures générations trouvent des exemples, des traces de respects et des envies d'améliorer le monde. Et surtout faut garder de la distance et l'esprit critique. Bon, ben c'était mieux tout à l'heure mais tout à l'heure le nucléaire faisait barrière à la comm'

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  2. Bel article et, au vue de ta conclusion, j'ai envie de dire : enfin. Enfin, car il y a ton retour à ton blogs. Les réseaux nous bouffent et même s'ils sont plus lus que nos blogs, ce sont ces derniers qui comptent. En effet : Twitter est une star ; mais pas nos tweets. "Tout" est là ...

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  3. paysanheureux05/04/2011 14:11

    Magnifique billet ! Je pense souvent à ces liquidateurs qui risquent leur vie pour tenter d'enrayer la catastrophe ! Et tout comme Toi, je me pose beaucoup de questions autour du "dérisoire" et du fondamental ou essentiel ! Je veux dire par là que l'on a empilé beaucoup de superficiel ( dont je suis le premier à profiter ) autour du fondamental de nos vies. C'est ce qui rend dérisoire les efforts consentis pour les préserver au regard des vrais enjeux de la survie...

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  4. J'ai un peu perdu l'espoir que nos comportements individuels puissent changer quoi que ce soit. Tout ou plus se donne t-on bonne conscience, et évite t-on une trop rapide rapide dégradation de notre environnement immédiat, c'est à dire notre petit confort domestique. J'ai trié ma poubelle, mon jardin est propre, bio et bien ratissé, j'utilise des ampoules à économie d'énergie et je suis très fier de moi, si tout le monde faisait comme moi la planète irait mieux.

    Sauf que ce n'est pas vrai. On sait que tout cela c'est du pipi de sansonnet dans un violon, mais on préfère se voiler la face tout en continuant à se boucher le nez pour ne pas voir les nauséabondes effluves de l'avenir (oui, je suis d'humeur métaphorique ce matin)

    Au delà de ce pessimisme, ce qui me préoccupe, c'est le sort de ces hommes sacrifiés pour notre confort.

    A l'époque du bac, où les élèves lisent, relisent et oublient aussitôt Candide et sa rencontre avec le nègre de Surinam, je veux me souvenir de cette phrase que je n'ai pas oublié depuis tout ce temps (oui, je fais croire que je suis vieux ce matin) : "C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe"

    Qui écrira l'histoire de notre époque, des travailleurs précaires irradiés (et pas seulement au Japon ou en Ukraine...), des risques pris au nom du profit, du péril technologique au nom du progrès, de la sauvagerie moderne qui nous mène tout doucement vers la destruction ?

    Qui pour faire un nouveau Candide ? "C'est à ce prix là que vous vous chauffez, que vous vous distrayez, que vous vous éclairez"

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