Le plus difficile dans un texte, c'est le début et la fin. Je bloque souvent sur la première phrase, celle qui entrainera toutes les autres à sa suite et incitera à continuer la lecture (souvenez-vous du bout de la pelote de laine), et j'ai longtemps cherché une phrase finale équivalente au "Et c'est ainsi qu'Allah est grand" de l'indispensable Vialatte, mais je désespère de trouver un jour quelque chose d'aussi bien. Les plus attentifs d'entre vous auront sans doute remarqué la tentative de mot de la fin récurrent des chroniques d'août et septembre...
L'important dans un texte, c'est le début et la fin. Parce que finalement, vous pouvez mettre à peu près ce que vous voulez entre les deux. Ainsi, qu'est ce qui m'empêcherait de parler du givre, de Maupassant et des vieilles gloire du thermalisme mourant à petit feu ?
A l'heure où j'écris ces lignes, le givre recouvre une bonne moitié de la France. L'autre moitié gèle sans fioritures, et c'est bien dommage. Car il n'est rien de plus beau que les délicates et éphémères sculptures que le froid cisèle pour quelques heures autour des objets soumis à son empire. Les arbres, les fils électriques, les antennes et les grillages se parent alors d'un habillage de cristaux hérissés qu'un souffle fait disparaître. Il n'est jusqu'au moindre brin d'herbe qui ne se pare de ces épines gelées. Le givre est le luxe de l'hiver.
L'air est silencieux et piquant, le temps semble figé autour d'un décor immuable. Mais bientôt un oiseau s'envole, une voiture démarre, un passant éternue ; la vie ne s'est pas arrêtée. Sauf à Châtel-Guyon, grande petite ville posée dans le Puy-de-Dôme comme la tasse à café sur la table, où l'hiver, les journées sont longues et les nuits glaciales. Cette ville de mon enfance m'a fait l'effet d'un décor à l'abandon. Il y aurait plus de 6000 habitants, c'est à se demander où ils se cachent.
On est bien loin de l'époque glorieuse du thermalisme, où l'on venait de loin profiter de ses eaux fumantes et ferrugineuses, à qui l'on prêtait milles vertus - Maupassant lui-même espérait soigner sa syphilis de cette façon. Pauvre garçon. Ses séjours lui auront au moins donné l'occasion de produire quelques contes sombres et grinçants, et une poignée d'enfants illégitimes.
Après dîner, j'allai faire un tour dans le parc de l'établissement thermal. Cela se passait dans une petite station d'Auvergne, ChâtelGuyon, cachée dans une gorge, au pied de la haute montagne, de cette montagne d'où s'écoulent tant de sources bouillantes, venues du foyer profond des anciens volcans. Là-bas, au-dessus de nous, les dômes, cratères éteints, levaient leurs têtes tronquées au-dessus de la longue chaîne. Car Châtel-Guyon est au commencement du pays des dômes.Au moins Châtel survivra t-il quelques temps encore dans les livres du conteur normand, un peu à la manière d'un rêve incertain au petit matin ; pour l'heure, le pays est appelé au même destin que le givre qui le recouvre : l'un comme l'autre disparaissent dans la pâleur des froides journées d'hiver.
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La petite rubrique littéraire finale ! Deux contes de Maupassant dans le Châtel du XIXème :
Mais il faudrait aussi parler de Mont-Oriol et de quelques autres... Lisez donc Maupassant, c'est un de mes auteurs préférés.