Cette semaine de vacances touche à sa fin, on change d'heure et de température, les fonctionnaires les plus frileux allument le chauffage de leur bureau ; l'hiver approche. Il est temps pour Sammy de retourner au boulot, sortir ses pulls du placard et faire part à ses attentifs lecteurs de ses dernières facéties dijonnaises. En l'occurrence, celle-ci se passe à Talant, petite ville tranquille posée dans les hauteurs de l'agglomération. Juste au-dessus de lac Kir, du moins pour ceux de ses habitants qui ont la chance d'avoir les fenêtres orientées du bon côté...
Talant est une grande petite ville dont la partie la plus ancienne est constituée d'un bourg médiéval tout entier ramassé autour de son église. Gothique et ancestrale, elle fête cette année le dixième anniversaire de son orgue et de ses vitraux.
Source : Wikipedia
Ce n'est pas vraiment l'orgue qui m'intéresse dans l'histoire, qui n'est après tout qu'une boîte à musique de très grande taille, catégorie que j'avais distraitement négligé lors de
ma précédente étude sur le sujet. Ce qui m'a ainsi poussé, mécréant que je suis, à investir ce lieu de foi (que j'ai en crise), ce sont plutôt les vitraux, réalisés par Gérard Garouste, en collaboration avec un maître verrier.
Gérard Garouste est un artiste contemporain né en 1946, et que je connais depuis qu'il s'est livré à un magistral travail d'illustration sur Don Quichotte, édité par une petite maison qui est à l'édition d'art ce que Cartier est à la haute couture :
Diane de Selliers ; j'en ai déjà parlé lors de ma
chronique des marchés, j'espère que vous suivez, sinon je vais regretter de vous avoir accordé le qualificatif d'attentifs, chers lecteurs.
J'arrive comme l'assistance finit de s'installer. Un écran pliant est posé dans le choeur, et un vidéoprojecteur sur un tabouret, à la hauteur de la première rangée de bancs. Une image du diaporama est déjà à l'écran, et le manipulateur du portable semble hésiter sur la conduite à tenir. Montrer ainsi cette image avant le début officiel du spectacle semble le contrarier. Il pose une antique lampe de poche rectangulaire devant le faisceau, elle ne tient pas, il tente de la maintenir, se brûle les doigts, renonce finalement. Sa collègue s'essaye avec davantage de succès à l'expérience. Je fixe un temps le dispositif, espérant vainement la chute de la torche à pile.
La dame patronnesse experte en lampes de poche ouvre enfin la cérémonie, parlant dans un micro devant cette foule d'une quarantaine de personnes tout au plus. Sa voix résonne dans l'église vide, je ne comprend rien. Je pousse un profond soupir, motivé tant par ce comportement irréfléchi que par les bribes de propos convenus, creux et superfétatoires que j'attrape au passage : « La paroisse vous convie... une histoire de Dieu et des hommes et des hommes avec Dieu... » La chose que je prévoyais festive et culturelle s'annonce d'emblée morne et triste comme un enterrement catholique apostolique et romain. D'ailleurs je m'ennuie déjà. C'est formidable.
Mes craintes se confirment, ce qui était présenté comme une "animation" intitulée
Des orgues et des vitraux qui nous parlent s'avère être la moins intéressante des soirées diapos auxquelles j'ai pu assister, les quidams bronzés en moins. L'ensemble n'est qu'une succession de photos sans la moindre explication, si ce n'est une bribe de phrase même pas descriptive, mais redondante, entre deux images des cartons de l'artiste et quelques poncifs d'une phraséologie éculée, dans le style "Le silence et la lumière", "Eau jaillissante de la fontaine de vie" ou bien encore "Dieu les a créés partenaires libres de choisir" ; je me demande si l'honorable vieux homme qui fait défiler le diaporama a conscience de la redoutable ambiguïté de cette phrase qui sied si peu aux préceptes papaux...
Vivement que ça se termine. C'est vide, c'est long, et il n'y a pas un mot sur le travail de l'artiste alors que je suis venu pour ça. La plupart des gens fixent bêtement l'écran inamé, certains ferment les yeux, Sammy prend des notes sur son petit carnet dans la semi-obscurité. Un silence religieux (c'est le cas de le dire) règne dans l'édifice, cette présentation grisonnante ne rend pas justice au travail réalisé par les deux artistes, le verrier et le peintre, dont je reconnais quand même le style, tout en trépignant sur mon banc, voulant aller voir par moi-même, plutôt que d'égrener ainsi les minutes au chapelet de mon impatience.
Heureusement, l'ensemble est entrecoupé de phases musicales. Le son profond de l'orgue donne alors à mon ennui quelques minutes de répit, la superbe musique du fer aux sonorités profondes emplit tout l'espace, pendant que l'écran n'affiche plus qu'une photo de l'instrument -Metzler parait-il, sans plus de précisions sur la signification du terme. Est-ce un gage de qualité particulière ? Je manque de vocabulaire musical pour décrire cette vibration spécifique ; c'est comme si il y avait une musique de fond avec une autre par-dessus, jouée sur un ton différent.
Sans doute les organisateurs ont-ils eu peur que nous ne puissions pas assimiler deux beautés en même temps ? Nous n'eûmes jamais de concert une image de vitrail et le son de l'orgue, le préposé au portable prenant bien soin de revenir sur cette sempiternelle photo des tuyaux si son empressement lui faisait prendre une diapositive d'avance. Quelques vitraux, une photo de l'orgue. C'est l'un ou l'autre. Dix minutes de silence, dix minutes de musique. Vitrail ou orgue. Lumière ou son. Fromage ou dessert.
Nous aurons ainsi droit à du Salve Reginat, du Magnificat (sauvez Régine en mangeant des bonbons Magnificat ?), à du Bach. C'est superbe Bach joué à l'orgue. Je n'aurais peut-être pas complètement perdu mon temps finalement. Mais quand l'orgue s'arrêta pour faire place à un antique et horrible enregistrement catho-guimauve à côté duquel "
Jésus reviens" ferait figure de poésie lyrique, j'ai été pris d'une brusque envie de partir...
C'est enfin fini, la cassette indigente se voulait sans doute le clou du spectacle. Je m'éclipse alors que l'assistance se commet en applaudissements exagérés. Je souhaite qu'ils ne soient adressés qu'à l'organiste. Je veux enfin voir ces fameux vitraux et visiter un peu l'église, que je date approximativement du XIIIème siècle, ce que me confirmera le prospectus que j'emporte en partant. J'ai été frappé par cette superbe mise au tombeau du XVIème siècle.
Je scannerai en rentrant le dépliant reproduisant les vitraux, et peut-être achèterai-je le livre édité à cette occasion, et sobrement intitulé "Garouste à Talant". Restez donc attentifs, chers lecteurs, car ces fameux vitraux, vous ne les avez toujours pas vus...