31 mai 2011

L'énigme des blancs manteaux, chronique de l'assassinat en dentelles

J'ai lu il y a peu L'énigme des blancs manteaux. C'est un bon roman policier à la sauce historique, avec des carrosses, des dentelles et des perruques poudrées. Aussi vais-je vous conseiller de le lire séance tenante.

J'ai vraiment aimé ce livre. D'abord parce que  c'est un livre que l'on m'a prêté. On me l'a mis dans les mains en me disant "tu devrais lire ça". Je ne sais plus si c'est Daniel Pennac dans Comme un roman ou Annie François(1) dans Bouquiner qui explique que dans tous les livres que l'on prête, on prête un peu de soi, et aussi que le bénéficiaire du prêt n'est pas toujours enclin à le rendre, car dans tous livre qu'on lit, on met un peu de soi aussi... Mais je vais bien finir par être obligé de le rendre à son propriétaire légitime.

Ensuite -revenons à nos perruques- parce que l'histoire nous transporte dans le Paris de la fin du règne de Louis XV, où le héros côtoie toutes les couches de la société : noblesse, clergé, catins, juges, docteurs, bourreau, mouches et coupes-jarrets, les péripéties de l'enquête l'entrainant du bouge le plus sordide jusqu'au palais du roi, en passant par le sinistre Châtelet et l'imprenable Bastille (c'est en tout cas ce que l'on croyait à l'époque). Entre les progrès de l'enquête, on parle cuisine, on discute de pratiques médicales, de philosophie, de procédure judiciaire. On s'imprègne de XVIIIème siècle comme un pain mollet plongé dans le cacao se gorge de cette boisson exotique et revigorante.

C'est un roman policier, mais ce n'est pas que cela. C'est  aussi un roman d'apprentissage dont le début m'a fait penser aux premières pages des Trois mousquetaires, les duels en moins : on "monte" à Paris avec le jeune Nicolas Le Floch, enfant trouvé appelé à devenir le représentant extraordinaire du lieutenant général de police dans le cadre d'une affaire qui ne l'est pas moins. Il y a donc enquête et accessoirement meurtre ; du moins c'est ce que l'on est enclin à penser lorsqu'un commissaire disparait et que l'on retrouve un corps en plusieurs morceaux, accompagné des vêtements dudit commissaire. Mais Le Floch n'est pas homme à se laisser abuser par des évidences. Têtu comme son nom l'indique, il ne se laissera pas influencer ni intimider par tous ceux que ses investigations vont déranger.

Le grand Alexandre l'a dit : on peut violer l'Histoire à condition de lui faire de beaux enfants. Jean-François Parot est forcément au courant, lui qui a emmêlé personnages réels et fictionnels, événements historiques et inventés, tous représentatifs d'une époque qui ne sait pas encore qu'elle accouchera d'une révolution.

L'histoire finit bien évidemment par la résolution, classique dans sa mise en scène, de l'énigme par le héros, devant le parterre des personnages convoqués tout exprès, innocentant les bons et confondant les méchants (je ne pense pas dévoiler grand chose en disant qu'à la fin d'un roman policier, on résoud l'énigme avec lequel on l'a débuté !). La chute est peut-être un peu trop parfaite pour être crédible, mais je pinaille.

Je vous laisse la surprise de la découverte de cet excellent roman, et m'en vais dénicher la suite, car ce n'est que le premier tome d'une série de neuf. Oui, comme le pont du même nom, mais je crois que ça n'a pas de rapport.(2)

(1) : Une rapide recherche m'apprend qu'elle est morte, emportée par sa deuxième passion...
(2) : Cette conclusion n'est pas nulle, elle est originale et fera rire dans 200 ans.

25 mai 2011

Journée de la serviette / Towel day

Aujourd'hui, c'est la journée de la serviette, ze towel day, comme disent nos voisins outre-manchots. C'est le jour dans l'année où les routards, les vrais, ceux qui savent faire face à toutes les situations grâce à leur serviette éponge sont mis à l'honneur.
« La serviette est sans doute l'objet le plus vastement utile que puisse posséder le voyageur interstellaire. D'abord par son aspect pratique : vous pouvez vous draper dedans pour traverser les lunes glaciales de Jaglan Bêta ; vous pouvez vous allonger dessus pour bronzer sur les sables marbrés de ces plages irisées de Santraginus V où l'on respire d'entêtants embruns ; vous pouvez vous glisser dessous pour dormir sous les étoiles, si rouges, qui embrasent le monde désert de Kakrafoon ; vous en servir pour créer un mini-radeau sur les eaux lourdes et lentes du fleuve Mite ; une fois enfilée, l'utiliser en combat à mains nues ; vous encapuchonner la tête avec afin de vous protéger des vapeurs toxiques ou bien pour éviter le regard du hanneton glouton de Tron (un animal d'une atterrante stupidité : il est persuadé que si vous ne le voyez pas, il ne vous voit pas non plus - con comme un balai, mais très très très glouton) ; en cas d'urgence, vous pouvez agiter votre serviette pour faire des signaux de détresse et, bien entendu vous pouvez toujours vous essuyer avec si elle vous paraît encore assez propre.

Plus important, la serviette revêt une considérable valeur psychologique : si pour quelque raison, un rampant (= non voyageur) découvre qu'un routard a sur lui une serviette, il en déduira illico que ce dernier possède également brosse à dents, gants de toilette, savonnette, boîte de biscuits, gourde, boussole, carte, pelote de ficelle, crème à moustiques, imperméable, scaphandre spatial, etc. Mieux encore, le rampant sera même heureux de prêter alors au routard l'un ou l'autre des susdits articles (voire une douzaine d'autres) que ledit routard aurait accidentellement pu "oublier"; son raisonnement étant que tout homme ainsi capable de sillonner de long en large la galaxie en vivant à la dure, de zoner en affrontant de terribles épreuves et de s'en tirer sans avoir perdu sa serviette ne peut être assurément qu'un homme digne d'estime. »
Douglas Adams, H2G2 tome 1
Une utilisation oubliée par l'auteur : la serviette peut servir de drapeau
Aujourd'hui, peut-être croiserez-vous quelques hurluberlus arborant une serviette sur l'épaule et un livre électronique portant l'inscription "Don't panic" en guise de page de titre. Vous devrez alors impérativement en déduire que :
  • vous êtes en présence de fans de H2G2 ;
  • il est temps que vous lisiez H2G2, la trilogie en 5 volumes, ou cette chronique y afférant ;
  • ce n'est pas moi (j'ai piscine).
CC Teetante
Et n'oubliez pas que c'est le jour où tout devient possible. Les vogons peuvent arriver sans crier gare (ni autre chose d'ailleurs) et raser la planète pour créer une voie expresse intergalactique. Vous pouvez vous rendre compte (mais comment avez-vous fait pour ne pas le voir pendant tout ce temps ?) que votre meilleur ami est un extra-terrestre. Avec un peu de chance, vous rencontrerez l'amour. Avec un peu moins de chance, un robot dépressif.

Happy towel day ! Et encore merci pour le poisson.

18 mai 2011

Le dégoût

Je suis atterré, dégouté, un petit peu triste, mais au final, pas vraiment étonné par tout ce que je lis et entend depuis 5 jours à propos d'une certaine "affaire" qui déchaine les passions, passionne les éditorialistes et révèle l'état d'esprit de certaines personnes, de gauche ou de droite, connues ou anonymes, de la plupart des deux sexes, mais surtout des hommes il faut bien le dire, sur leur vision de l'homme et de la femme, du degré d'appréciation de la "normalité" des relations que les premiers devraient entretenir avec les secondes, et de la notion de viol, si différente selon que l'on est un homme, blanc, appartenant à ce qu'il faut bien appeler une classe dirigeante, ou une noire, jeune, et femme, dite "de ménage" de surcroît, comme si la fonction pouvait définir l'individu.

Même si je partage l'analyse d'Aliocha selon laquelle, au grand tribunal médiatique, DSK a déjà été condamné, tant la violence des images, l'obsédante répétition de non-informations creuses reprises en boucle jusqu'à la nausée sur tous les canaux médiatiques a d'ores et déjà réduit à néant la réputation d'un homme qui trainera quoi qu'il advienne cette histoire derrière lui ; 

même si je suis le premier à hurler à la présomption d'innocence pour tous les faits divers avec coupable livré clé en main dont certains médias nous abreuvent complaisamment ; 

même si moi aussi, quand j'ai entendu cette nouvelle à la radio samedi matin au réveil, j'ai été obligé d'aller vérifier sur internet si j'avais bien compris ; moi aussi j'ai pensé au complot, j'ai imaginé le scénario incroyable,  le piège digne d'un film hollywoodien, ou plutôt le chantage de bas étage digne de la crapulerie de la pire espèce ; 

même si je suis mal à l'aise en voyant les images d'un homme tombé, qui passe en 48 heures des rangs des puissants de ce monde au statut de suspect menotté exhibé aux photographes, même si je reconnais une certaine compassion pour un individu dont la fin de partie est d'une exemplarité dans le catastrophique qui me fait penser à du Maupassant, voire à Houellebecq au vu des circonstances ; 

même si j'ai compris que nous vivons dans un monde où la réalité a depuis longtemps dépassé la fiction, même si j'ai limité ma philosophie à accepter que le plus improbable est du domaine du possible,

je suis choqué. Je suis choqué de tout ce qu'Olympe a relevé dans un article court mais édifiant (allez cliquer sur les liens qu'elle liste) : une femme qui prétend avoir été victime d'un viol, ou d'une tentative (vous m'excuserez d'être assez peu indulgent pour ce genre de nuance) devra systématiquement faire face au scepticisme, à la remise en cause et pire, à l'attitude goguenarde et machiste qui semble être la règle, du moins en France. Est-ce cela, notre fameuse "exception culturelle" ? 

Si une femme se plaint, elle sera forcément suspectée d'exagération, voire de mensonge. D'avoir provoqué ce qu'il s'est passé, voire d'assouvir une vengeance ou d'exercer un chantage. Je ne nie pas, sans pour autant adhérer aux thèses complotistes, que de telles choses soient possibles. Mais force est de reconnaître que la réalité est bien souvent tragiquement simple. 74 % des viols sont commis par une personne connue de la victime. On estime que seulement 2% des violeurs sont condamnés.

Je suis choqué que certaines personnes, que l'on nomme "intellectuels" par facilité sémantique se livrent à ce genre d'exercice. En mettant en doute le professionnalisme de la femme de ménage, par exemple - et ce n'est que le début. Je suis révolté, j'ai honte de lire que les faits qu'elle relate sont qualifiés de "troussage" par un célèbre journaliste que je ne nommerai pas, car je ne veux pas faire connaissance avec son avocat.

Car ces gens là, on ne viole pas monsieur, on ne viole pas, on trousse. On trousse une soubrette, comme sous l'Ancien Régime, comme dans les pièces de Molière et de Marivaux. C'est un amusement de puissant, un plaisir d'homme au-dessus des lois. Tant pis pour les soubrettes, tout au plus leur concède t-on qu'elles devraient être flattées de cette attention qu'on leur porte.

On serait dégouté à moins.

***

Promis, la prochaine chronique sera plus légère ; du moins je l'espère...

06 mai 2011

La joie et la fureur

Il nous a été donné ces jours-ci d'assister au spectacle de messieurs tout à fait pacifiques, agitant gaillardement des drapeaux comme à Iwo Jiwa. De mères de famille respectables se grimant de masques grotesques. De vieilles dames arborant des tenues excentriques. Avec des perles, un chapeau à plumes et des décorations clinquantes. Encore avaient-elles l'excuse d'être anglaises, ce qui rendait le détail anodin.

Car les anglais sont excentriques, monarchistes et bons enfants. Et buveurs de bière, mais c'est un détail qui n'a rien à faire ici. Quoi qu'il soit raisonnable de penser qu'ils ont vidé quelques pintes en l'honneur de la duchesse de Cambridge et du duc de Carrickfergus.

God save the Queen !

Outre Manche, on s'interroge, par vieil atavisme pas tant républicain que teinté d'anglophobie, sur la raison d'un tel engouement pour les arrières-petits-enfants de Georges VI. Sans doute, d'accord avec Maupassant, nous demandons-nous pourquoi faudrait-il être heureux à date fixe, sur décret du gouvernement. C'est sans doute ce même esprit de rébellion bien gaulois qui fait que nous assistons chaque 14 juillet à l'institutionnel défilé des troupes de la République.

Royal Wedding pearly supporter

Au final, l'événement n'en était un que parce que vendu comme tel par les médias. Mais la liesse populaire était bien réelle. Faut-il, à l'instar de paysanheureux être heureux de voir des gens heureux ? Ou bien, douter du genre humain avec Pensecris, qui ne comprend pas que l'on puisse s'intéresser à un tel spectacle, mais si peu aux injustices du monde ?

La réponse est dans l'énoncé : la crise économique, les catastrophes nucléaires, les tarifs des plombiers, le racisme dans le milieu du football, c'est déprimant, c'est triste, c'est pas beau... Les quelques millions de personnes qui ont suivi l'événement à la télévision ne se désintéressent sans doute pas de toutes les calamités qui s'abattent sur ce pauvre monde ; seulement, à choisir entre le spectacle de la misère et celui de la joie, même si il s'agit d'une joie mise en scène, institutionnelle et devenue un objet de consommation de masse par la grâce des médias, le choix, pour nombre de personnes, a été vite fait.

Un mariage royal, finalement, c'est une nouvelle incarnation du divertissement pascalien... Loin de me faire douter du genre humain, me voilà conforté dans ma vision des choses.

***

Trois jours à peine après cette joie naïve, on a pu voir d'autres images de joie : celle de la foule américaine manifestant son bonheur à l'annonce de la mort d'Oussama Ben Laden. On a alors vu de braves employés de supérettes, de doux agents immobiliers, d'inoffensifs analystes financiers (encore que pour ceux là, on soit moins sûr) agiter des drapeaux, se grimer de masques grotesques et, allez savoir, sans doutes d'honnêtes grand-mères ont-elles arboré des costumes ridicules.

Times Square on the night Osama bin Laden killed, CC Josh Pesavento
Car cette fois c'était sûr, le grand croquemitaine des peurs occidentales était mort. Ces gens, américains, new-yorkais en tête, criaient leur joie, leur soulagement. Alors ils ont levé leurs verres en plastique, scandé U-S-A jusqu'au bout de la nuit, et agité bougies et drapeau, dans une ambiance entre kermesse et concert de rock. Car les américains sont exubérants, patriotes et enfants de la liberté.

God bless America.

Ils étaient libérés d'un souci, d'un fardeau, d'un cauchemar. Mais plus que la fin d'une menace, c'était surtout la disparition d'un symbole et l'assouvissement d'une vengeance qui étaient célébrés. Cette joie là me fait peur. Dix ans de "guerre contre le terrorisme", 300 000 morts -en grande partie des civils, ce qui tend à prouver qu'il s'agit bien d'une guerre- des restrictions à nos libertés dont nous paierons longtemps le prix, et pas beaucoup plus de sécurité au final. La guerre est-elle vraiment finie ? Est-ce qu’on peut remettre du shampooing dans notre bagage cabine ? (dixit Michael Moore)
Non, bien sûr.

Osama Dead - CC Sebastian Niedlich
La mort du terroriste le plus connu depuis Carlos ne changera rien. Depuis 2001, nous vivons sous le règne de la peur. Peur qui nous a fait renoncer à nos valeurs : on surveille, on censure, on torture, on emprisonne sans procès. Cette exécution saluée comme une justice rendue ne vient qu'apporter une touche complémentaire à l'édifice ignominieux construit depuis le 11 septembre 2001, dans le bruit des armes et la fureur de la vengeance.

Je ne vois pas où sont les raisons de se réjouir. Heureusement qu'il nous reste les mariages royaux.

***

Le titre est bien sûr un clin d’œil à un autre William, royal à sa façon.