Aux derniers des beaux jours, quand le vent pousse quelques nuages dans un ciel où le soleil se voile, l'Europe toute entière descend dans les rues et visite ses monuments. On appelle cela les Journées du patrimoine. Il fallait bien que l'on finisse par se mettre d'accord sur au moins un sujet. La culture n'est pas le moins beau.
Les bâtiments les plus prestigieux et les plus administratifs ouvrent leurs portes. La foule se presse pour visiter le bureau du Premier Ministre. On se bouscule aux grilles des châteaux. Des ministres s'amusent à guider les badauds à l'intérieur de l'arc de triomphe, pâle copie de la Porte Guillaume. On se piétine devant le siège des journaux. Les enfants échappent à la vigilance de leurs parents. Certains tombent dans les oubliettes. On voit par là que la passion du patrimoine pousse à faire des choses grandes et magnifiques.
Les préfets se tiennent bras croisés sur leur perron et accueillent le public d'un sourire crispé. Parce que ce n'est pas très amusant de faire visiter sa maison. Car la Préfecture est la maison du Préfet. Il faut le comprendre cet homme.
Comme j'arrive dans la cour d'honneur de la préfecture, je constate avec un sourire moqueur (oui, oui, moi, je suis moqueur) que le conférencier au micro est le même que l'année dernière. Sans doute fait-il partie des meubles. Le même joyeux drille lénifiant. Comme j'ai déjà écouté son exposé avec plus d'attention qu'il n'était nécessaire la fois précédente, je me considère dispensé de l'exercice, et laisse la foule se masser au pied de l'escalier d'honneur, me calant confortablement au chambranle de l'entrée. Retourné au bas des marches, le préfet discute avec quelques collaborateurs, se dirige vers la porte monumentale donnant sur la rue, parle avec des factionnaires, vaque à ses occupations.
Les explications sur la chambre bleue où a dormi le général de Gaulle et le bureau où Alexandre Dumas n'a jamais écrit ne me passionnant vraiment pas, j'observe les gens qui m'entourent. Certains sont bien habillés, d'autres s'efforcent de l'être. Un monsieur à côté de moi, trapu, ventru, chauve et luisant, orné d'une décoration inconnue, a visiblement sorti ce qu'il avait de plus beau. Un costume gris souris avec des petits carreaux. Il l'avait déjà pour le mariage de son cousin. En 1967. A moins que ce ne soit le costume du témoin, ce que laissent supposer les ourlets récemment défaits -on voit encore la trace de la piqûre. Un petit fil pend dans son dos.
Un autre, plus jeune, la quarantaine arrogante et stigmatisée de la légion d'honneur, m'apparait particulièrement antipathique dès le premier regard. Ce n'est pas sa faute, le tort m'incombe totalement. Il est bien habillé, il a des chaussures propres et une femme avenante. Alors quoi ? Il avait le petit détail qui casse tout : la coiffure. Je ne suis pas du genre à m'offusquer du manque de rigueur capillaire, bien au contraire. Avec ma tête de Fantasio, ce serait mal venu. Mais le bon goût n'est visiblement pas la chose du monde la mieux partagée. Il a la nuque rase, les cheveux coupés très courts, dans le plus pur style légionnaire. Sauf sur le devant où, par une coqueterie mal avisée, il a tenu à conserver une mèche qui hésite entre la banane du rocker au réveil et l'évocation hitlérienne. Bref ce n'est pas une réussite.
Voilà deux hommes qui n'ont pas bénéficié des services des meilleurs ouvriers de France. Car c'est la raison de ma présence en ce lieu à cette heure matinale (pensez donc, il est tout juste 10 heures). On m'a laissé entendre qu'il y aurait un chocolatier parmi les artisans, et je suis venu juste pour ça...
Sur ces entrefaites, le préfet revient, le journal et le programme télé calés sous le bras ; je l'imagine un instant traversant la cour en pantoufles le matin de bonne heure, pour aller aux nouvelles vers la concierge et récupérer son courrier. On peut toujours rêver. Quoi qu'il en soit, il est comme moi bloqué par la foule. Il s'agite, parle tout bas en direction du conférencier qui s'éternise. Va t-il lui demander de presser le mouvement ? Il l'avait déjà fait l'an dernier. Comme il est à quelques pas de moi, j'ai tout le loisir de l'observer à son tour. Son blazer n'est pas assorti à son pantalon. Venant d'un tel personnage, c'est décevant. Il ne se doutait pas que je rapporterai ça, sinon il les aurait choisis de la même couleur, soyez-en sûrs.
Il ne se doute pas non plus qu'il est à côté de l'un de ses nombreux subordonnés indirects. Ce qui n'est pas plus mal. Notre seul échange, près de deux ans auparavant, s'était limité à quelques grimaces et gesticulations par lesquelles il tentait de me faire comprendre que je l'éblouissait avec un vidéoprojecteur... La momie finissant enfin son exposé -dont une salvatrice panne de micro nous a épargné un bon morceau- la visite va pouvoir commencer. Visite, c'est vite dit. Comme l'an dernier, elle se résume à la suite présidentielle où ont dormi Napoléon et le général De Gaulle (mais où Alexandre Dumas n'a jamais écrit, il est bon de le rappeller), le salon bleu, le bureau du préfet et le jardin.
Les explications sur la chambre bleue où a dormi le général de Gaulle et le bureau où Alexandre Dumas n'a jamais écrit ne me passionnant vraiment pas, j'observe les gens qui m'entourent. Certains sont bien habillés, d'autres s'efforcent de l'être. Un monsieur à côté de moi, trapu, ventru, chauve et luisant, orné d'une décoration inconnue, a visiblement sorti ce qu'il avait de plus beau. Un costume gris souris avec des petits carreaux. Il l'avait déjà pour le mariage de son cousin. En 1967. A moins que ce ne soit le costume du témoin, ce que laissent supposer les ourlets récemment défaits -on voit encore la trace de la piqûre. Un petit fil pend dans son dos.
Un autre, plus jeune, la quarantaine arrogante et stigmatisée de la légion d'honneur, m'apparait particulièrement antipathique dès le premier regard. Ce n'est pas sa faute, le tort m'incombe totalement. Il est bien habillé, il a des chaussures propres et une femme avenante. Alors quoi ? Il avait le petit détail qui casse tout : la coiffure. Je ne suis pas du genre à m'offusquer du manque de rigueur capillaire, bien au contraire. Avec ma tête de Fantasio, ce serait mal venu. Mais le bon goût n'est visiblement pas la chose du monde la mieux partagée. Il a la nuque rase, les cheveux coupés très courts, dans le plus pur style légionnaire. Sauf sur le devant où, par une coqueterie mal avisée, il a tenu à conserver une mèche qui hésite entre la banane du rocker au réveil et l'évocation hitlérienne. Bref ce n'est pas une réussite.
Voilà deux hommes qui n'ont pas bénéficié des services des meilleurs ouvriers de France. Car c'est la raison de ma présence en ce lieu à cette heure matinale (pensez donc, il est tout juste 10 heures). On m'a laissé entendre qu'il y aurait un chocolatier parmi les artisans, et je suis venu juste pour ça...
Sur ces entrefaites, le préfet revient, le journal et le programme télé calés sous le bras ; je l'imagine un instant traversant la cour en pantoufles le matin de bonne heure, pour aller aux nouvelles vers la concierge et récupérer son courrier. On peut toujours rêver. Quoi qu'il en soit, il est comme moi bloqué par la foule. Il s'agite, parle tout bas en direction du conférencier qui s'éternise. Va t-il lui demander de presser le mouvement ? Il l'avait déjà fait l'an dernier. Comme il est à quelques pas de moi, j'ai tout le loisir de l'observer à son tour. Son blazer n'est pas assorti à son pantalon. Venant d'un tel personnage, c'est décevant. Il ne se doutait pas que je rapporterai ça, sinon il les aurait choisis de la même couleur, soyez-en sûrs.
Il ne se doute pas non plus qu'il est à côté de l'un de ses nombreux subordonnés indirects. Ce qui n'est pas plus mal. Notre seul échange, près de deux ans auparavant, s'était limité à quelques grimaces et gesticulations par lesquelles il tentait de me faire comprendre que je l'éblouissait avec un vidéoprojecteur... La momie finissant enfin son exposé -dont une salvatrice panne de micro nous a épargné un bon morceau- la visite va pouvoir commencer. Visite, c'est vite dit. Comme l'an dernier, elle se résume à la suite présidentielle où ont dormi Napoléon et le général De Gaulle (mais où Alexandre Dumas n'a jamais écrit, il est bon de le rappeller), le salon bleu, le bureau du préfet et le jardin.
Par acquis de conscience, je fais un rapide tour des lieux, déambulant avec des airs de propriétaire au milieu de la populace la foule du week-end. Si ce n'est les poules en céramique sur la cheminée, (soutien à la filière avicole ?) rien n'a vraiment changé. Je repère au passage la table avec les sculptures monumentales en chocolat. Apparemment, il n'y a rien à manger. Faisons d'abord le tour des autres, on finira par ça.
Parmi les meilleurs ouvriers de France disséminés à travers l'hôtel, il y avait un restaurateur de tableaux, un paysagiste, deux tailleurs de pierre et un serrurier ; un couvreur et un chauffagiste. Seul le restaurateur était intéressant, mais malgré mes questions, je suis resté sur une impression de frustration. Il faut plus de 10 minutes pour bien parler de la restauration des tableaux en général... J'ai d'ailleurs un peu regretté l'absence d'explications de leur travail par ces ouvriers. La plupart se prêtaient aimablement au jeu des questions, mais d'autres n'étaient pas visibles, laissant le public seul face au travail exposé pour l'occasion, et cherchant à en découvrir le sens profond - c'est moi le public.
Il est maintenant temps de retourner près du chocolatier. Les sculptures dégagent une odeur sur laquelle il n'est pas possible de se tromper. Sans elle, le doute serait permi quant à leur composition. C'est bien du chocolat. Gourmand, Sammy pensait naïvement que l'on allait lui en donner des brouettes. Ou des seaux à la rigueur. Ou au moins une grosse poignée. Eh bien, non. Le chocolat, c'est cher, et il n'aura droit qu'au pavé d'or réglementaire que deux hôtesses proposent à la sortie. Ce n'est pas si mal. Au moins aura t-il pu parler à l'artiste ! Fabrice Gillotte parle de son art avec précision et courtoisie.
Je sais maintenant où acheter du bon chocolat.
Vu le prix, ce n'est pas un détail...
Je sais maintenant où acheter du bon chocolat.
Vu le prix, ce n'est pas un détail...
***
Envie de découvrir ?
Je me demande toujours ce qui motive les gens dans ce genre de situation : voir le préfet de plus près et "pour de vrai" ? la femme du préfet ? la maison du préfet ? ou ... "le patrimoine de la maison du préfet" ?
RépondreSupprimerSalut Florence ! J'ai loupé ton retour de vacances on dirait ! Je croyais que tu étais absente pour plus de temps. Mais je crois plutôt que c'est moi qui ne voit pas passer le temps... je vais passer lire tes nouvelles ;-)
RépondreSupprimerPour répondre à ta question : je ne sais pas. Sans doute d'autres personnes savaient-elles qu'il y aurait du chocolat à la sortie ? Parce que pour ce qui est de voir le préfet en vrai, bof... il y a des spectacles plus folichons quand même ^^ J'ai tendance à penser que la curiosité est un moteur très puissant, surtout lorsqu'il s'agit de voir ce que l'on imagine secret, cahcé, interdit au public en temps normal. La preuve, le lendemain j'ai visité les locaux de la communauté d'agglomération et le conseil général (je vais essayer de raconter ça avant la fin de la semaine !), ce qui n'est pas ce qu'il y a de plus exceptionnel d'un point de vue patrimonial, mais je pourrais dire "je l'ai vu" - d'autant plus que j'ai déjà visité les "vrais" monuments.
Il faudra que j'en parle, tiens !
...et encore, rien ne vaut ceux qui arborent une fière coupe mullet (ou à l'allemande ou encore nuque longue) !
RépondreSupprimerJe ris toujours beaucoup à la lecture de tes commentaires, et celui-ci est vraiment très réussi.
RépondreSupprimerAinsi donc tu aimes le chocolat au point de te lever aux aurores (relatives), et tu appartiens à la fonction publique d'Etat. voila deux éléments à ajouter au puzzle.
Ah, j'oubliais! tu n'apprécies pas les costumes dépareillés ...
:-) (au hasard)
Le portrait de Sammy se dessine petit à petit, effectivement. Ceux qui me connaissaient avant n'apprennent pas grand chose -bien qu'ils découvrent parfois des facettes inconnues, les autres collectionnent les indices !
RépondreSupprimerEh oui, je suis un tout jeune fonctionnaire -le plus jeune de la structure, et ça fait 3 ans que ça dure- mais je n'en tire ni honte ni fierté :-p je l'ai déjà évoqué dans d'autres billets.
Ben les costumes, c'est comme les cheveux : tout ou rien ! N'est ce pas Maurice ? ;-) C'est vrai que les cheveux longs, genre footballeur allemand des années 80, ça n'aurait pas dépareillé...
Quand au chocolat (ou l'espoir du chocolat) ne vaut-il pas un petit sacrifice ?
Bonsoir Sammy !
RépondreSupprimerEt oui me voici de retour !
Revenir pour repartir, comme on dit ...
Merci de ta petite visite chez moi. :)
Il faut que je trouve d'autres photos d'océan (et en échange, tu me trouves des photos de chocolats ;-)
Ca marche =] le chocolat étant plus facile à trouver que l'océan, cela ne devrait pas poser trop de problèmes...
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