30 mai 2006

Chronique des bonnes résolutions

Quoi de plus beau qu'une bonne résolution ? La bonne résolution donne un cap à suivre, fixe des objectifs grandioses, ouvre des perspectives insoupçonnées. L'homme qui a pris un tel engagement est touché par la grâce ; il a l'oeil brillant, le port décidé, l'allure virile. Bref, les dents saines et le poil luisant. Il s'endort du sommeil du juste, ne rêve que des plus grandes choses et contribue par son attitude a améliorer la marche du monde.

Il n'est point utile d'avoir de grandes idées généreuses pour s'adonner à la passion de la bonne résolution. On peut, bien sûr, rêver d'occire son voisin, libérer les nains de jardins injustement retenus, ou bien encore décider de tenter de battre le record du monde de léchage de timbres poste en 1'30. Ou vouloir défier le champion régional de bras de fer.

Les bonnes résolutions surgissent n'importe quand, sans prévenir ; qu'elles nous tombent dessus au réveil, au cours du repas ou pendant que l'on essaye de travailler sur quelque chose d'important, ce sera toujours à un moment où on aura mieux à faire. Regardons les choses en face : les bonnes résolutions sont culottées.

Mais les bonnes résolutions, de même qu'elle ne germent pas uniquement les lendemains brumeux de réveillons de la Saint Sylvestre, se contentent bien souvent d'objectifs plus modestes et moins périlleux que ceux précédement évoqués. S'inscrire sur les listes électorales, cuisiner autre chose que du congelé, se lever avant midi, téléphoner à untel et écrire à tel autre, nettoyer le four et repasser le linge. Disons le franchement : passer l'aspirateur.

Pour tout dire, les bonnes résolutions, ce sont toutes ces choses que l'on projette de faire et que l'on ne fait pas, toutes ces décisions sages et volontaires que l'on prend à longueur de semaine -je fais plus de sport, j'arrête de fumer, je mange des légumes- et que l'on ne respecte jamais, les repoussant toujours pour plus tard pour des motifs toujours différents et toujours ô combien valables...

On se rend finalement compte que le délai que l'on s'était imparti - et avec quelle sévérité !- est écoulé ; l'on se trouve alors des excuses, ce n'est pas si urgent, ce n'est pas vraiment important, rien ne presse et on avait tellement de choses à faire de toute façon...

22 mai 2006

Eloge de la beaufitude et des autres plaisirs simples

Il n'est rien de plus beau qu'un envol de caravanes aux premières lueurs de l'aube. Sanglés dans leurs automobiles, les aoûtiens partent de Melun, de Dijon et que sais-je ? peut-être certains viennent-ils de Clermont-Ferrand. Ils morigènent les enfants, débranchent les poissons et se passent les nerfs sur leur femme, démarrent enfin après un check-up digne d'une navette spatiale, et se retrouvent quelques heures après, les tongs en batterie et le sourire aux lèvres, au camping des flots bleus. Comme tous les ans à la même date.

A mi-chemin entre les Bronzés et les Bidochon en vacances, Camping offre 1h30 de caricature pas si grossière que ça à la gloire des épopées caravanesques et des problèmes existentiels des estivants franchouillards. Quoi de pire en-effet que de faire 9h10 de route pour s'apercevoir que la place 17, celle que l'on réserve depuis 30 ans, a été attribuée à des hollandais ? Autrement dit des étrangers. Des gens pas d'ici. En un mot des allemands.
La liberté c'est de pouvoir manger ses carottes rapées dans l'emballage
Devant un tel drame, même le pastis n'a pas le même goût, et l'on en vient à se demander si il ne vaudrait mieux pas rentrer tout de suite à Melun, plutôt que de voir "ces gens là" occuper sans le moindre égard un coin de terre battue que l'on a convoité onze mois durant.

C'est au milieu de cette petite bande d'habitués que va atterrir un chirurgien esthétique, loin, très loin de cet univers, et de ces vacances là. Le film se construit à partir de cette opposition entre la bande des campeurs et le séducteur parisien élégant et blasé.

Lui qui se dirigeait en Aston Martin vers un hôtel de luxe à Marbella, va être contraint par un problème mécanique à subir sangria d'accueil, course de canards à la Interville et élection de Miss camping. Rien ne lui sera épargné.
C'est un piège à guêpe, comme ça la guêpe, elle meurt d'asphyxie ou de diabète... à cause du sucre
De petit déjeuner au Benco en R19 "customisée", de tongs multicolores en klaxon jouant la cucaracha, tout les poncifs de la ringardise comme on l'aime chez nous défilent sous son regard quelque peu méprisant. Dois-je avouer que je me suis identifié à lui (Gérard Lanvin quand même !) une bonne partie du film ? C'est mon côté snob, voyez-vous...

Ce n'est que vers la fin du film que l'on réalise qu'au delà de cette beaufitude qui prête à sourire, que malgré une overdose de mauvais goût et de petits détails exaltant l'âme de la ringardise, le plus balourd de tous n'est pas celui qu'on croit, et l'image du play-boy sûr de lui en prend un coup. Car les campeurs (Franck Dubosc, Claude Brasseur, Mathilde Seigner notamment) sont certes pitoyables et accrochés à leurs petites habitudes, mais ils s'efforcent d'être heureux, cultivant le goût des plaisirs simples, de l'apéro entre copains et de la sincérité chaleureuse, ouvrant leurs tentes et leurs tupperwares à ce parfait inconnu.

Au final, on passe un bon moment, ce n'est pas du grand cinéma, ce n'est pas le film le plus drôle de l'année, mais on rit (parfois) de bon coeur au spectacle de ces tranches de la vie estivale.

18 mai 2006

Moqueries sur un plateau : à mots couverts

Moquons nous à nouveau de nos contemporains.
Retour à la cantine...

Après avoir rapidement abordé les généralités les plus communes en matière de restauration collective (et encore, je suis sûr d'en avoir oublié), je me dois de dépeindre à grands traits quelques spécimens remarquables, des "habitués" sans lesquels je mangerais peut-être plus vite, et encore c'est pas sûr, mais ce serait quand même moins drôle. Parmi eux, des collègues, d'illustres inconnus ou d'autres tout aussi peu connus, que la fréquentation quasi journalière (dans la plus parfaite indifférence polie, cela va de soi) ou le comportement déroutant ont rendus familiers...

Il y a celui-ci, qui fait la queue avec sa sacoche à la main. Ou sur le plateau. Ou à nouveau à main. Ou sur le rail à côté du plateau. Puis à nouveau dans le plateau. Ah non, maintenant avec l'assiette, il n'y a pas assez de place. Alors il la prend encore à la main, et finit le circuit avec cet encombrant accessoire au bout des doigts. Bon, où est le problème ? Vous allez me trouver décidement bien inutilement moqueur et médisant. Le hic, c'est que c'est une sacoche à bandoulière, faite pour être portée sur l'épaule, ce qui est indéniablement plus pratique. Eh bien non, il a décidé il y a 35 ans qu'il tiendrait sa sacoche à la main, ce n'est pas à l'aube de la retraite qu'il va changer d'avis...

Il y a celui là, qui ingurgite plutôt qu'il ne mange, littérairement on dirait bâffrer, empiffrer, goinfrer, mais nous sommes entre nous, on va dire bouffer. Il bouffe. Comme une petite bête qui craindrait qu'on vienne lui reprendre sa pitance. Sans lever la tête ni parler. Non. Il faut d'abord satisfaire l'urgence. Quand il a fini, il nous regarde, l'air repu et béat, d'une tête que l'on imaginerait bien sur un moine d'un Robin Hood de série B. Voilà, c'est ça, ce type, c'est Frère Tuck...

Un frère Tuck qui a quand même la grande qualité d'être aussi mécréant que moi, ne l'accablons donc pas inutilement.

Le problème c'est qu'il aimerait bien me voir suivre son rythme. Or je prend mon temps. Je discute. Je m'arrête, je regarde les gens. Et pour couronner le tout, je mange lentement. Un jour, vous ne lirez plus ces chroniques. Ne cherchez pas : il m'aura assassiné...

Vient ensuite le vieil enfant gâté ; le sale môme de 45 ans, qui ne peut rien manger sans extraire de son assiette une montagne de déchets. Avec lui, bien peu de choses sont comestibles du coup... Les noyaux des olives, les os du lapin, personne ne lui reprochera de ne pas les avaler... Je comprend également que l'on ne mange pas la peau du poisson, surtout si elle n'est pas très cuite et juste tiède, c'est dégueulasse. Qu'il trouve encore des choses à retrancher sur un blanc de poulet ou sur une escalope de dinde me parait un peu plus incertain par contre... surtout quand il s'agit de perdre autant de "comestible" que de prétendus déchets...

Et que tout ceci soit fait avec milles manières, du bout de la fourchette et à la pointe du couteau, me paraitrait certainement beaucoup plus délicat si il n'en faisait pas un petit amoncellement absurde à même le plateau... Non que je sois particulièrement délicat, ou sourcilleux quant à la nourriture gaspillée, mais il ajoute la vulgarité au gâchis, un jour il faudra que je le lui dise.

Et puis il y a le roi. Le plus beau. Notre chouchou. Si par hasard nous ne l'avons pas vu, nous ne pourrons manquer de l'entendre. Costume pastel, cravate, la trentaine ébouriffée, il parle fort, dit généralement n'importe quoi et nous impose son rire de pompe aspirante à chaque fin de phrase, soit qu'il s'estime très satisfait de ce qu'il vient de dire, soit qu'il n'ait jamais rien entendu d'aussi drôle que les réparties polies de ses collègues.

Représentez-vous une sorte de grand niais au regard vide, aux longs bras et aux attitudes ampoulées ; le spectacle est permanent, la représentation est en cours. Prenez place, mangez et buvez, le chihuahua de ces dames va vous faire son numéro. Ne vous gênez pas pour le regarder. Trop occupé à s'offrir à son public (un gros chauve, un vieux beau prétentieux et une jeune femme très polie ma foi, très patiente...), il ne vous verra pas l'observer.

Que cache t-il derrière cette attitude de moulin à vent ? Quel vide veut-il combler ? Je trouve que ce piteux clown a le regard triste parfois...

17 mai 2006

Le rêveur et l'oiseau - Fable expresse


Ce matin là il vit une petite forme grise sur une marche en descendant l'escalier. Etait-ce un gros tas de poussière ? Une souris ?
Non, c'est un oiseau.
Un drôle de piaf qui risquait de se faire écraser par des croquenots moins bien réveillés que les siens songea t-il.
Peut-être est-il mort ?
Il faudrait songer à le mettre à la poubelle.
Ah non. C'est vivant.
Immobile, pas vraiment effrayé, fixant de ses petits yeux noirs le bipède qui s'est penché sur lui.
Non, vraiment, il faut le ramener dehors, je suis sûr que quelqu'un va marcher dessus.
Et ça va faire des saletés partout, se dit-il cyniquement.
A la seconde où il le prit dans ses mains, le stupide volatile inerte se mit à se débattre -bon, il est vraiment vivant- et à pousser des cris perçants.
Les fameux cris d'orfraie.
Si, si, ça vient de là.
Posé dans la haie au milieu des graviers, il s'éloigna en sautillant...

Blog à voir : Encyclopédie des expressions

Bon, ok, c'est du remplissage ;-) mais au moins vous aurez appris quelque chose. Et le prochain texte sera plus long. Et plus méchant... Lost in the cantine, saison II...

16 mai 2006

Ensemble, c'est tout, et un petit peu plus

Il y a trois jours, j'ai fait de ce livre un commentaire que je trouve assez juste maintenant que je l'ai terminé. Quand je pense qu'il n'y a pas si longtemps, il m'aurait fallu 15 jours pour écrire un texte moitié moins long... Est-cela que l'on nomme la maturité ? Hum, allez savoir...

La fin du roman gagne en tendresse, certains esprits chagrins ont crié à la guimauve lors de la sortie du livre ; eh quoi ? Ces quatres là n'ont-ils pas pris assez de coups dans la tête pour ne pas avoir enfin droit à leur part de bonheur ?
Même pas heureux d'ailleurs, ils n'étaient plus si exigeant. D'être ensemble, c'est tout. Et déjà c'était inespéré

Je voudrais essayer de faire comprendre en quoi Gavalda arrive a faire entendre la voix de ses personnages au delà des dialogues ; je ne trouve pas que les quelques citations dont j'ai parsemé ma première partie de commentaire en donnent une idée suffisament précise.

Chacun à en effet sa voix qui lui est propre ; un vocabulaire et une façon de s'exprimer que l'on retrouve jusque dans la description de ses actions, de ses pensées. La narration s'adapte à cette pensée, emprunte ses mots, ses tournures de phrases, son émotion.

A ceci s'ajoute cette façon d'écrire de l'auteur, que j'ai déjà qualifié de "neutre", et c'est un compliment. Elle s'efface derrière ses personnages, les laisse vivre leurs vies, se contentant d'intervenir aussi peu que possible dans ce petit monde qu'elle anime en cachette.

De cette non-intervention nait l'illusion de notre complicité avec ses personnages, cet attachement qui nous lie à eux dès les premières lignes. On peut se fondre dans chacun d'eux, on les a déjà côtoyés. Ou alors ne se reconnaître dans aucun et dans tous à la fois...
Ce qui empêche les gens de vivre ensemble, c’est leur connerie, pas leurs différences...

Cerise sur le gâteau :
l'adaptation cinématographique du livre est en cours...


Delphine conseille (fortement) la lecture du premier livre d'Anna Gavalda dans son commentaire de cette première partie. Je ne peux qu'approuver avec véhémence !

"Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part", tel est le titre de ce recueil de nouvelles, qui est aussi une belle histoire pour sa créatrice : une nana qui écrit des nouvelles, les propose à tous les éditeurs, personne n'en veut... et puis est finalement publiée par cet éditeur là (Le Dilettante) Succès énorme. J'en connais qui ont dû se bouffer les ongles jusqu'au coude...

C'est une écriture très légère, ça se lit vraiment très facilement, les histoires sont tantôt tendres, tantôt amères, mais jamais vraiment méchantes, et témoignent d'un coup d'oeil acéré sur la vie. Je ne me rappelle pas de toutes les nouvelles du livre (hummm, t'es sûr ?) mais celles qui me viennent à l'esprit pour l'instant sont des petites choses de la vie, des événements de tous les jours, cocasses ou dramatique, pas des clichés, pas du romanesque, que du "vrai".

Je sens que je vais le relire...

- Je voudrais que quelqu'un m'attende quelque part
- Ensemble, c'est tout
/ Anna Gavalda, Le dilettante

14 mai 2006

L'oeil du piéton


Petite flânerie par les rues de Dijon, je profite de mon absence totale de sens de l'orientation pour découvrir de nouvelles rues. Je me perds sans vraiment me perdre, je retrouve à peu près la direction des choses, tout en étant parfois très étonné de me rendre compte que telle rue communique avec telle autre, et que cette portion n'est que l'autre extrêmité d'une rue que je n'avais jamais parcourue entièrement... Toutes choses qui paraîtront banales aux êtres normalement constitués qui liront ces lignes, mais voyez-vous, avec mon cerveau de blonde...

Comme à mon habitude, je regarde autour de moi, attentif à la vie qui s'écoule et aux signes de son passage, mégots de cigarettes, gens qui discutent et fleurs bariolées des jardins, regrettant seulement de n'avoir personne à qui faire part de ces pensées.

Je ne saurais décrire ce qui m'a plu dans cet antique poteau électrique ; peut-être son côté hors d'âge justement.
J'ai bien dû le prendre 5 ou 6 fois avant d'avoir une image correcte... je ne sais pas si c'est le poteau qui penche ou ma tête qui est trop lourde, mais ce n'était jamais droit !

Quant au mode d'emploi de porte de jardin à l'usage des ivrognes et des non-comprenants, il m'a tenu émerveillé de longues minutes par sa poésie brute...

13 mai 2006

Ensemble, c'est bien

Jour de pluie maussade et gris. Au diapason avec le temps, je promène mon blues dans mes quelques mètres carrés, cherchant une raison à ce mal être et me reprochant mon attitude. Il te manque quoi ? Qu'est ce que tu veux ? A quoi tu rêves ? Il est des choses graves, tu le sais. Beaucoup plus graves. Mais bon, c'est comme ça, il est des moments où les mauvais démons refont surface, et le coup de balai, pour rédempteur qu'il soit à l'égard de mon linoléum ne les emmène pas avec les vestiges de la semaine.

Sur le coup de 17h, je me cale sur mon lit défait, et je reprend la lecture entamée hier soir : Ensemble, c'est tout/Anna Gavalda, 22€ de papier imprimé, une couverture horrible, mais un auteur apprécié, dont la lecture de ce titre s'impose avec d'autant plus de force qu'il m'a déjà été conseillé maintes fois par Delphine.

Les presque 50 pages avalées cette nuit (entre 1h30 et 2h du matin...) m'avaient déjà donné une très bonne impression. Anna Gavalda n'écrit pas une histoire. Elle écrit la vie. La vie de tous les jours, pas celle des romans. Celle d'êtres qui se débattent avec la leur, ne savent pas quel sens lui donner, et flottent à l'intérieur comme en des vêtements trop larges pour eux. Avec leurs espoirs, leurs rancoeurs, leurs problèmes, futiles ou dramatiques, leurs quotidiens si semblables aux nôtres et pourtant si abîmés qu'eux mêmes s'interrogent sur leur fragile réalité :
- En fait, t'es une fille normale...
- Pourquoi tu me dis ça ? Bien sûr que je suis une fille normale...
C'est vraiment la vie qui défile entre nos mains ; la vie avec ses hauts et ses bas, ses vacheries et ses moments de bonheur. Je n'en suis qu'à la moitié du livre, mais déjà une morale s'en dégage : notre vie, c'est nous qui la faisons, nous sommes libres de la rendre ensoleilée, ou bien de nous faire du mal au point de s'imaginer des cailloux dans l'estomac, comme si le fardeau d'être vivant était décidemment trop lourd à avaler...

On rit beaucoup au fil des pages qui passent trop vite, on partage les souffrances des protagonistes aussi, mais sans excès, sans faux effets larmoyants ni surenchère dans l'émotion ; c'est la vie, rien que la vie, avec ses joies et ses peines, ses bons côtés et ses chausses-trappe. Avec l'amitié et l'amour aussi, qui en sont le sel indispensable. (si vous préférez, je fais la même métaphore avec du sucre...)

Trois protagonistes principaux pour l'instant, j'en pressens un quatrième qui est encore en retrait. Camille d'abord, quarante-huit kilos d'amour pour un mètre soixante-treize de désespoir, c'est elle, les cailloux dans l'estomac. Le génie dans les mains et la rage au ventre, elle dessine un monde qu'elle ne peut apprivoiser. Philibert Marquet de la Durbellière ensuite, l'aristocrate aux souliers troués, le gentleman anachronique. Aussi timide que respectueux de l'étiquette. Amoureux de Marie-Antoinette et de Mme d'Etampes, vivant dans un monde poussiéreux, rempli de livres d'histoire, de blason et de portraits au regard sévère.

La rencontre de ces deux là, inévitable et providentielle, ne pouvait être que cocasse et charmante, autour d'un panier à pique nique du second Empire, au milieu d'une chambre de bonne haussmanienne...
Ils s'assirent en tailleur, ravis, enjoués, comme deux gamins qui inaugureraient leur nouvelle dînette, faisant mille manières et autant d'efforts pour ne rien casser. [...] Ils n'étaient pas bavards. Ils n'avaient plus l'habitude de partager leurs repas. Le protocole ne fut donc pas très au point et tout deux eurent du mal à se dépêtrer de leur solitude. Mais c'étaient des gens bien élevés et ils firent un effort pour porter beau. S'égayèrent, trinquèrent, évoquèrent le quartier.
Franck, le troisième semble plus lisse, plus banal, laisserait presque croire qu'il mène une vie sans problèmes. Jeune cuisinier, il accumule les extras et les conquêtes d'un soir pour payer sa moto et se faire croire qu'il est heureux. Mais toute sa vie se résume à sa grand-mère, la très vieille Paulette Lestafier, qui ouvre le roman par une chute en avant qui la conduira, d'urgences en centre de rééducation, vers cette maison de retraite dont elle redoutait tant l'imminence.

C'est elle le quatrième personnage qui va prendre de la place à mon sens ; je la verrais bien venir s'installer dans l'immense appartement de Philibert. Mais n'anticipons pas.

Autant les deux premiers communient dans la parole et un amour commun de l'art, autant Franck est frustre, et ressent son état comme une infériorité.
Parce que lui, il le savait qu'il n'était pas aussi bourrin qu'il en avait l'air, mais son problème, c'était les mots justement... Il lui manquait toujours des mots alors il était obligé de s'énerver pour se faire comprendre... C'est vrai, c'était vraiment gonflant à la fin, merde !
Et ces trois êtres se parlent, se croisent, s'évitent et se réconcilient dans cet appartement, chacun apportant quelque chose aux deux autres et tous s'aidant sans vraiment en avoir conscience.

J'ai été obligé d'arrêter ma lecture vers 20h15, au bord de l'inanition, et dans la peau d'un contorsionniste que l'on aurait oublié de déplier. Crrrrrac, tous les os et cartilages traumatisés par la même position me font savoir leur mécontentement comme je me déplie dans l'idée un peu vague de me nourrir. Mais je me sens néanmoins beaucoup mieux.
Elle fit un peu de ménage pour changer et reprit son livre. Il n'est pas de chagrin qu'un livre ne puisse consoler, disait le grand homme. Allons voir...
Il y a deux ou trois phrases comme ça que j'aurais pu croire écrites pour moi... mais j'y reviendrai. Je dirai également un mot sur la façon dont la voix du narrateur s'adapte au personnage mis en exergue, sur ce style "neutre", qui est une des choses les plus difficiles à atteindre en littérature, les écrivains adorant qu'on reconnaisse leur "patte" au bout de trois lignes...

Delphine, merci. Vous tous qui avez des amis, conseillez-leur les livres que vous avez le plus aimés. C'est un cadeau rare et précieux.
Comme l'amitié.

12 mai 2006

Moqueries sur un plateau : self contrôles

Je continue mes exercices d'observation. De tous les grands singes, l'homme est décidement le plus intéressant à observer. Outre les grandes surfaces, le lieu social où s'épanouissent des comportements étranges et des individualités remarquables est quand même celui où l'on mange.

Comme je l'ai dit précédemment, je mange en semaine à la "cantine des impôts", restaurant d'entreprise géré par la société Eurest. Il est toujours très plaisant de voir les trésors de maniaquerie ou les petites habitudes étalées par mes congénères à l'occasion du cérémonial du repas. Je suis certain qu'ils ne s'en rendent même plus compte. Heureusement, je suis là...

Le restaurant est un self. Si l'accessoire indispensable du supermarché est le tapis roulant, un self ne saurait se concevoir sans le rail où glissent les plateaux. Il y aurait pas mal de choses à dire sur l'attitude des gens en file ; ceux qui prennent toute la place, ceux qui semblent ailleurs, ceux qui en ont marre d'attendre et ceux qui prennent tout leur temps...

Mais c'est aussi là que commencent certaines manies affligeantes que je vais essayer de recenser ici.

Il en est plusieurs qui ne peuvent prendre un yaourt sans regarder, systématiquement, sa date de péremption. De peur qu'on ne leur serve des yaourts de l'an dernier, hein... Dans le même ordre d'idée, je ne comprendrai jamais pourquoi de nombreuses personnes qui vont à la fontaine remplir leur carafe (de ces typiques carafes en fer blanc) commencent systématiquement par la vider, fut-elle aux trois quarts pleine... Ce n'est pas leur eau, alors ils n'en veulent pas ? Craignent-ils à ce point la poussière en suspension qu'ils veulent par ce procédé être sûrs de la pureté de leur eau, refusant de souiller leurs parois intestinales d'une eau à la propreté douteuse ? Que ne mettent-ils pas de masques alors !? Et des gants, et des charlottes... le mieux ne serait-il pas qu'ils restent chez eux ?

Et encore, les yaourtiseurs paranoïaques et les sectateurs de l'eau virginale sont parmi les plus répandus. Sûrement quelques-uns de mes lecteurs s'adonnent-ils à ces bénins exercices... Rassurez-vous, je vous aime quand même.

Il y a pire ! J'ai vu, il y a quelques jours, le spectacle improbable d'une femme à l'apparence pourtant normale qui frottait vigoureusement de sa serviette en papier une table aussi propre que toutes les autres avant que d'y poser son plateau... Je frémis d'horreur à l'évocation de ce souvenir... Pourquoi frottait t-elle ? Quel rituel secret connu d'elle seule devait-elle ainsi réaliser ? Ne pas accomplir ce geste l'aurait-il vraiment empêché de manger en toute sérénité ? Pourquoi n'a t-elle pas décapé du même mouvement cette chaise, où des postérieurs impies se posèrent quelques minutes avant ?

Pourquoi tant de complications de la part des grandes personnes ?
(merci St Ex)

Que de questions sans réponses...

(à suivre)

11 mai 2006

Critique à dormir debout


Aucun rapport avec ce qui précède ? A voir ! J'ai en grande partie lu ce livre dans les trains entre Dijon et Lyon. 48 heures lyonnaises m'ont fait écrire au moins 3 billets... Ah, que ne suis-je resté plus longtemps... (clin d'oeil appuyé)

Bon, sans rire, il faut que je vous donne l'envie de lire ce bouquin maintenant.

Figurez-vous un homme renfermé, un artiste qui vit dans sa bulle. On ausculte son sommeil pour tenter de comprendre son monde. Dans son rêve agité, il voit sa femme et sa fille se faire assassiner. Il a vu le visage de l'assassin... il l'oubliera à son réveil. Pire encore, son sommeil déréglé efface ses souvenirs à chaque fois qu'il s'endort...

C'est une implacable course contre la montre qui s'engage alors, trois jours pour comprendre les mystères du sommeil, faire remonter ce souvenir enfoui, trois jours avant qu'il ne soit trop tard, avant qu'il ne sombre dans le sommeil... ou dans la folie.

Le style n'est pas des plus flamboyant, je me suis surpris à penser que certaines phrases auraient pû être mieux écrites... mais ce n'est pas un défaut trop grave, car, au delà de l'intrigue, c'est la porte ouverte sur le sommeil et ses mystères qui fait tout l'intérêt de ce roman. Saviez-vous que l'état "normal" du cerveau n'est pas la veille, mais le sommeil ? Contrairement à une idée reçue, notre vie est un long sommeil entrecoupé de période de veille, et non pas l'inverse. Voilà qui va faire réfléchir quelque couches-tard...

Encore une bonne chose que vous aurez apprise grâce à ce blog ! Non, non, vous me remercierez plus tard !

La nuit interdite / Thierry Serfaty, Albin Michel

09 mai 2006

Par les rues de Lyon

J'ai déjà parlé du spectacle de la rue et des petites choses sans importance ; j'ai évoqué hier mon goût pour les détails anodins rencontrés lors de nos promenades lyonnaises.

Voici donc quelques photos anti-touristiques que j'ai rapporté d'une des plus belles villes de France.

Il y a de nombreux trompes-l'oeil un peu partout dans la ville ; cette peinture sur un transformateur EDF n'en est pas un à proprement parler, mais elle nous a plu. A vrai dire, elle a surtout plu à Delphine... :-p
Vous ne trouvez pas que ça ferait un beau fond d'écran... ?

Une initiative intéressante dont d'autres villes feraient bien de s'inspirer : le véloV, un vélo que l'on loue et que l'on repose arrivé à destination, à l'une des nombreuses bornes que l'on trouve en de nombreux points de la ville. Nous en avons croisé absolument partout.
Très joli bas de pantalon retroussé, Miss !

Si les photos précédentes peuvent encore laisser planer le doute sur mon état mental (quoique celle du vélo m'a valu de passer pour un japonais), les deux suivantes ont définitivement convaincu ma guide que j'avais décidement un grain...
Qui paye les pots cassés... ?

Quel est ton mot pour qualifier ça Delph ? Décalé ? Je ne me souviens plus du terme exact que tu as employé. En tout cas, le parapluie dans la poubelle restera un grand moment...
Un parapluie cassé surgissant d'une poubelle, n'est ce pas beau et poétique ?

Je passe maintenant pour avoir un goût particulier pour les objets cassés... non, non, je ne suis pas un maniaco-dépressif aux goûts morbides, ni un déconstructiviste fustigeant la société de consommation !

A ce propos (admirez la finesse de la transition), je ne fais pas dans la déconstruction, mais eux, si : La demeure du chaos
Merci pour l'info Delphine... ça pourrait faire un article intéressant en plus... il faudra juste que tu me donne tes conclusions sur la dimension esthétique de l'art...

08 mai 2006

Retrouvailles lyonnaises

Rire. Rire à en avoir mal au ventre. Parler, parler jusqu'à celles des heures de la nuit qui n'ont qu'un chiffre. Profiter tout simplement du plaisir d'être ensemble, à nouveau, et savourer une complicité intacte après tout ce temps.

J'ai revu Delphine ce week-end, mais peut-être que le mot "retrouvé" serait plus juste. Cela fera bientôt 8 ans que l'on se connaît, dont 6 années sans se voir, passées à la vitesse de l'éclair... C'est donc sans la moindre hésitation que j'ai saisi la première occasion de venir me perdre dans la grande ville, qu'elle vient de réinvestir.

Petite interrogation alors que le train entre en gare. Comment sera t-elle ? Et comment va t-elle me trouver ? N'ai-je pas changé de mon côté ? Les souvenirs et la réalité vont-ils se rejoindre ?

Mais j'ai été presque instantanément rassuré à la sortie du métro, 20 minutes plus tard : tu n'as pas changée Delphine (la preuve, moi qui ne suis pas physionomiste, je t'ai reconnu au premier coup d'oeil, ah ah) ; j'ai effectivement retrouvé la même femme qu'il y a 6 ans, toujours la même bonne humeur, le même humour et le même tempérament ; toujours aussi belle aussi (bah oui, c'est vrai). J'ai également retrouvé toutes ces petites choses uniques qui définissent une personne, la voix, la façon de sourire, le regard, la démarche et d'autres détails impalpables. Toujours la même au bout du compte...


Et comme il parait que je n'ai pas changé non plus, l'étonnement ravi des retrouvailles a somme toute vite été dépassé, et nous nous sommes tout de suite comportés comme si l'on s'était séparés l'avant veille, poursuivant un dialogue jamais vraiment interrompu.

Delphine a tenté deux jours durant de me perdre dans les métros, ruelles et autres traboules de Lyon, mais comme nous marchons à la même vitesse ses efforts furent vains...

Nous avons pratiqué l'art délicat de la déambulation, où j'exerçais ma prédilection pour les détails anodins, et celui tout aussi plaisant de la conversation, où je démontrais mon grand talent pour les digressions...

Ce fut un réel plaisir que de pouvoir se reparler. Je pense que tu as conscience de faire partie des quelques personnes vraiment importantes pour moi, l'une de celles avec qui je suis totalement moi même, sans dissimulation et sans rien tenter d'enjoliver non plus. Voilà pourquoi je me suis senti aussi bien, aussi détendu. Merci pour ça aussi.


Je ne connaissais pas Lyon ; ville très agréable qui ne donne pas le même sentiment d'oppression que l'on peut sentir à Paris. Je n'ai pas eu le sentiment d'être dans une ville d'un demi million d'habitants.
Saucisson lyonnais, Saint Marcellin et côtes du Rhône : les atouts de ce pays ne sont pas seulement touristiques et nous en avons aussi profité... sans se cantonner aux produits du terroir d'ailleurs...
Ca change des nouilles... et de l'eau...


Petit coup de blues au train du retour. Le convoi prend de la vitesse en quittant l'agglomération, et je regarde le même paysage que 48 heures plus tôt défiler en sens inverse, comme un film que l'on rembobine. Retour vers la routine. Impression de refermer une parenthèse. J'espère que ce n'est pas le cas... Mais ne restent bientôt que les images joyeuses et la joie sincère que j'éprouve à ce souvenir efface l'impression désagréable du départ.

05 mai 2006

L'image de la nuit

Très agréable soirée hier soir avec Aurélie, je sais que tu liras ces lignes... Au passage, je te souhaite bon courage pour la suite des événements...

Je rentre lentement chez moi, profitant de la douceur de la nuit, et essayant de voir la façon dont la nuit change mon regard sur des rues familières. C'est ainsi que je remarque ce restaurant, auquel je n'avais prêté qu'un intérêt assez limité durant la journée. De toute façon, je n'aurais pas pris cette photo en plein jour...

Ben quoi... un restaurant tout rouge qui s'appelle "Le lotus bleu",
vous ne trouvez pas ça louche vous ?

03 mai 2006

Discussions du café

Il arrive que les discussions cafetières du matin soient intéressantes. Ce matin, je ne sais plus pourquoi, mais la discussion s'est portée sur la synesthésie, ce qui m'a donné l'occasion d'étaler ma science. Sans forfanterie d'ailleurs ; je ne pensais pas que ce mot fut aussi peu connu.

J'ai eu beaucoup de mal à faire comprendre à mes collègues qu'il ne s'agit pas d'une faculté de l'imagination, mais bien une véritable particularité physique. Alors, quand je vois du rouge, et que je pense à une tomate, c'est de la synesthésie ? Noooon ! C'est comme la madeleine de Proust alors ? Non plus.

En fin de journée, j'ai cherché sur internet si il n'existait pas un site capable de fournir des explications sinon plus claires, du moins plus crédibles que les miennes. J'ai trouvé celui-ci, écrit par deux personnes, dont au moins l'une des deux est synesthète. Il semble assez complet, précis et compréhensible, même si il pêche par une ergonomie... douteuse ; attention les yeux !

(illustration extraite du site)

La page d'accueil du site :

Mon monde est coloré. Les lettres et les nombres possèdent une dimension de plus par rapport à une perception auditive normale: ils ont des couleurs. Le A et le 4 sont rouges pétillants, le E est jaune citron et le R bleu noir. La surface du I est lisse et douce tandis que celle du Z est peluchée. En entendant ou en lisant une phrase, je vois les mots colorés déambuler devant moi comme sur un écran. L'année a une forme ovale et lisse et rejoint les semaines et les jours dans une forme spiralée compliquée; chaque mois possède une couleur. Je me souviens de la couleur du nom d'une personne avant de me rappeler comment elle s'appelle: Anna est rouge et vert foncée et son anniversaire est violet blanc, ce qui ne peut être que le premier mai.
Je ne peux pas inhiber ces sensations volontairement, elles étaient toujours là et toujours les mêmes, elles accompagnent tout simplement le langage en donnant une dimension supplémentaire au vécu quotidien.
Ce n'est que récemment que j'ai appris, avec étonnement, que les autres n'avaient pas ces mêmes perceptions et j'ai de la peine à m'imaginer un monde sans mes couleurs, tout comme un non-synesthète a de la peine à comprendre mon monde. On a tendance à assumer que la réalité est la même pour tout le monde- l'expérience de la synesthésie nous montre que cela n'est pas le cas.
Les synesthètes existent, je les ai rencontrés ! ...enfin presque.