27 août 2010

Chronique réunionnaise

Pour l’enfant, amoureux de cartes et d’estampes,
L’univers est égal à son vaste appétit.
Ah ! que le monde est grand à la clarté des lampes !
Aux yeux du souvenir que le monde est petit !


Je me permettrais de contredire respectueusement Baudelaire : le monde est plus grand qu'on ne le croit généralement, c'est en se rendant sur place qu'on prend le mieux la mesure de la chose. Inutile de se munir de son double-décamètre, ni du mètre-ruban chippé à une mamie couturière ; l'immensité du monde se constate par le temps que l'on met à le parcourir, et par les espaces infinis -dont le silence éternel effrayait tant Pascal, qui n'a jamais voyagé que de Clermont-Ferrand à Paris, comme bon nombre d'Auvergnats- que l'on découvre, les jambes en coton et le souffle coupé, une fois arrivé à destination.

Ainsi en va t-il de la Réunion. Sous les lampes, à la lumière crue des chiffres, la Réunion, ça ne parait pas bien grand : tout juste 2512 km². Pour donner un ordre d'idée au lecteur ignorant des merveilles de la géographie, c'est trois fois plus petit que le département de la Côte d'Or. Mais si l'intérêt des voyages résidait dans le seul plaisir de la comparaison, on se contenterait de feuilleter son atlas au coin du feu au lieu de passer une dizaine d'heures dans un avion. Ou alors on laisserait les géomètres en faire le récit. Ce qui serait prodigieusement ennuyeux. Les quelques lecteurs têtus fréquentant encore ce blog prendraient virtuellement leurs jambes à leur cou, sans doute quelques uns se feraient mal en se prenant les pieds dans ceux, fort peu virtuels, de leur bureau. Les plus âgés se casseraient le col du fémur. Les autres l'astragale. Voire les deux sésamoïdes. J'en concevrais une amertume désolée et un profond remord. Peut-être même aurais-je des crampes d'estomac.

Evitons cette catastrophe. Partons à la Réunion.

L'idée même de la Réunion est dans la montée. Dans cette île aux milles charmes, elles font l'agrément des routes. Elles sont en épingle à cheveux. On les passe en première, le moteur rugit, les oiseaux s'envolent en jacassant à travers les frondaisons épaisses, le conducteur transpire. Les autochtones, plus au fait de la chose, roulent posément à gauche à une allure n'excédant jamais les capacités du véhicule. Pas plus de 80 kilomètres par heure dans les descentes les plus dangereuses. La prudence est une des nombreuses vertus créoles.

Mais le plus extraordinaire réside dans la grande diversité des paysages, des climats, des reliefs. Sur ce territoire de taille réduite (il me semble l'avoir signalé plus haut, j'espère que tout le monde suit), on passe, presque sans s'en rendre compte, de la plage à la montagne ; de la chemisette au pull à manches longues. En polaire, pour mieux se protéger du vent, qui commence à se faire frais dès que l'on prend un peu de hauteur. Ceci est d'autant plus vrai que si les maisons du littoral se passent assez facilement de chauffage, les habitations des hauts ont ceci de commun qu'elles possèdent toutes une cheminée. Autour de laquelle on est content de se rassembler, une fois la nuit venue. Vers cinq heures du soir. Car la nuit tombe vite, à cette latitude.

Voilà pourquoi l'on peut, sans craindre de tomber dans un des clichés les plus éculés du tourisme de masse, qualifier la Réunion de terre de contrastes. Les quatre éléments semblent s'y être donné rendez-vous : le feu d'un volcan toujours actif, la terre qui porte une végétation stupéfiante, l'air plus ou moins vif selon l'altitude et la mer tout autour, qui fait son boulot de mer, avec houle, embruns et rouleaux venant se fracasser contre une barrière de corail symbolique. Ils se mélangent régulièrement : le volcan s'écoule dans la mer, les cascades dégringolent le long des pentes vertes, la végétation repousse dès que la lave a refroidi. Ce qui prend malgré tout plusieurs années. La dernière coulée a eu lieu en avril 2007. Lorsque l'on se promène sur place, la température s'élève encore de quelques degrés. Quand il pleut, l'eau s'évapore en fine fumerolles de vapeur. Les gens du coin font cuire des steaks sur cette pierre hier liquide. Peut-être des brochettes. Ou alors des chamallows piqués ou bout d'un bâton. Ce qui est sûr, c'est qu'une branche entrée dans un trou en ressort enflammée. On voit par là que le volcan partage activement sa chaleur.

C'est un trait qu'il a en commun avec les habitants de l'île. L'accueil créole est chaleureux et spontané, on se retrouve à parler à bâtons rompus (car on a coupé le bout qui avait pris feu sur le volcan) avec quelqu'un qui était un parfait inconnu quelques minutes plus tôt. Au coin du feu, si on est dans les hauts, sur la varangue si on est sur le littoral. Conversation qui se poursuivra autour d'une table bien garnie  en cari poulet, rougail tomate ou achards de légumes. Pour le touriste, la découverte commence par la dégustation des mots.