14 décembre 2009

Chronique musicale : Francis Cabrel

Il y a quelques nuits de cela, j'ai rêvé que je discutais avec Francis Cabrel. Je ne me souviens pas de tous les détails, mais je me souviens très bien que je lui posai une question qui me tient à cœur depuis longtemps : pourquoi la chanson Octobre s'appelle t-elle ainsi ? Il est question de vent, de brume, de feuilles qui tombent, de buée et de bouts de laine ; toutes choses qui m'évoquent plutôt novembre, à tout le moins l'hiver. En tout état de cause, je ne peux me résoudre à imaginer que l'automne soit aussi rigoureux, du côté d'Agen.

Il me répondit plus ou moins que c'était une licence poétique : il avait choisi le mot octobre parce que c'était mieux pour la rime. C'est ce que j'avais toujours pressenti. Il va sans dire que je tirai de cette confirmation un plaisir extrême.

Octobre

Je me réveillais avec la vague crainte d'apprendre la mort de Francis Cabrel à la radio. C'est une crainte fondée : la seule fois où j'ai rêvé de C Jérôme, il est mort trois jours plus tard. Mais je n'étais pas fan de C Jérôme, alors que j'aime beaucoup Cabrel au point, vous l'avez vu, de l'inviter à discuter de ses chansons autour d'une table, ne serait-ce qu'en rêve.


Il y a tout juste un an, Chérie de Sammy et moi-même l'avons vu au Zénith de Dijon. D'accord, ce n'est pas Bernard Lavilliers, ce n'est pas non plus Benabar, dont je vous entretiendrai sans doute une autre fois. Mais je retirai de cette soirée le mémorable sentiment d'avoir vu le bonhomme "en vrai", au moins une fois, qui sera probablement la seule, mais je n'en demande pas plus pour ne pas avoir ce regret dans ma vieillesse.

Oui, j'ai désormais décidé de vivre cent ans, entouré de nombreux petits enfants, auxquels j'infligerai mes souvenirs du temps où j'allais voir Francis Cabrel sur scène. Chacun ses rêves.


La robe et l'échelle

Les chansons de Francis Cabrel, et tant pis pour les grincheux, les moqueurs, Laurent Gerra et autres guignols, ce n'est pas la cabane (au fond du jardin), la moustache, les cailloux, la guitare, la moustache, les rimes en -ou et la moustache.

Aviez-vous seulement remarqué qu'il ne l'avait plus, sa moustache ? La transformation est si traumatisante pour certains qu'elle leur manque déjà.

Mais il y a quoi dans ses chansons alors ? (à part les cailloux, la moustache et le jardin déjà évoqués) A mon sens, la première chose chantée par Cabrel c'est l'amour, que ce soit celui pour la même femme, Mariette :


ou celui pour l'humanité en général, voire une certaine forme d'écologie.

Les hommes pareils





Au fil des années, ses chansons tendent à devenir des ballades, rêveuses, poétiques, un brin mélancoliques, pas encore désenchantées, mais toujours suspendues entre le tendre et l'amer ; toujours de l'amour, de belles mélodies, quelques hommages aux grands anciens ; toujours le goût de la phrase bien tournée, le texte qui fait sens, le sens du mot juste.

Même si il faut pour cela rendre octobre plus frileux qu'il ne l'est.

10 décembre 2009

Vaccin, le retour de la vengeance. Chronique pleine de 8

Les choses ne se passent jamais totalement telles qu'on les prévoit, ou telles qu'on les espère. Il n'est donc pas étonnant qu'il en soit ainsi pour la vaccination anti-pandémiedelagrippeA. Comme je l'expliquais il y a 8 jours, c'est d'un pas décidé à prolonger mon espérance de vie que je m'étais rendu dans mon centre de vaccination, dans l'espoir déçu d'un rendez-vous.

Le lendemain même de cette chronique, le dieu de la vaccination préventive a bien voulu que quelqu'un réponde au bout du fil - à moins que la dame préposée au téléphone ne lise mon blog, ce qui m'étonnerait quand même un peu- dès 8 heures du matin.

Rendez-vous fut donc pris pour le 8 décembre, soit ce mardi, c'est donc un tout nouveau vacciné qui écrit ces lignes. Premier constat : toujours aucun effet secondaire. Deuxième constat : j'ai écrit trois fois le chiffre 8 en quelques lignes, c'est peut-être ça, l'effet secondaire ?



Photo de Pterjan


Troisième constat : l'affaire est pliée en un quart d'heure. Accueil, discussion avec la dame de l'accueil, signage et remplissage de formulaires, attente du docteur qui papote, papotage à mon tour avec le docteur, réponse d'icelui à mes questions (car je suis très curieux), passage à l'étage piqûre, piqûre, redescente : un quart d'heure.

Il va sans dire que je suis très déçu. Non, je ne suis pas déçu que le barbarisme "signage" ne provoque pas chez vous une onde de colère qui serait ressentie jusqu'en Papouasie-Nouvelle-Guinée  (mais peut-être ne suis-je lu par aucun instit ?). Je suis déçu de ne pouvoir exercer un légitime courroux (Guyane) à l'encontre d'une organisation administrative à laquelle je n'ai rien à reprocher.

Moi qui m'étais préparé physiquement (gants, écharpe, chapeau), mentalement (stock d'intéressantes lectures) et moralement (Fear is the path to the dark side. Fear leads to anger. Anger leads to hate. Hate... leads to suffering), je n'ai même pas eu le temps de m'impatienter. A telle enseigne que j'ai commencé par croire le centre de vaccination fermé.

Puis j'ai vu la lumière à l'intérieur.

Mais quoi, un quart d'heure ! Bon, je veux bien aller jusqu'à 20 minutes, mais c'est bien parce que c'est vous. Mais je reste persuadé que je ne suis resté que 16 minutes. Deux fois 8 minutes. C'est mieux. Moi qui avais prévu de râler, d'écrire une chronique magnifique, avec des tas de mots compliqués, où j'aurais dénoncé l'incurie, la gabegie, le ratage, la désorganisation complète... Eh ben c'est raté.

02 décembre 2009

Un vaccin vaut-il mieux que deux tu l'auras ?

Je ne sais pas si vous êtes au courant, mais le sujet à la mode, en ce moment, c'est la grippe mexicaine du cochon A. D'ailleurs, j'aimerais bien qu'on m'explique une chose : pourquoi "A" ? C'est pour ne pas vexer les mexicains ? Et la grippe espagnole, de sinistre mémoire ? On ne s'est pas beaucoup soucié des espagnols quand on l'a baptisée, que je sache. Pour le cochon, je peux comprendre. Sans doute a t-on voulu éviter des effets comiques involontaires. Vous imaginez un peu, la conversation, le lundi matin au bureau ?

- Tu connais la nouvelle ? Machin a la grippe du cochon !
- Machin ? La grippe cochonne tu veux dire !
- [rires gras] 
- etc.

Vu sous cet angle, on a bien fait de changer le nom. La situation est déjà assez pénible comme ça.

Même si cette pandémie procure à nos existences jusqu'alors bien peu palpitantes un sens nouveau, elle amène également une foule de questions passionnantes, allant de "vaccin or not vaccin" à "à qui je donne ma collection de petites cuillères si jamais ça tourne mal".

Comme tout bon connecté qui se respecte, j'ai commencé par aller à la pêche aux informations sur internet (Voir ici et pour le produit de ma pêche) ; grâce à Jérôme Choain, j'ai fini par trouver l'article (presque) ultime sur le sujet : clair, impartial, rigoureux et honnête : celui que j'attendais. Trop honnête peut-être : il ne donne aucune préconisation pour ce qui est du vaccin, c'est à chacun de se forger sa propre opinion après avoir lu. 



Pour ma part, j'en avais d'abord tiré l'irréfragable conclusion qu'il était inutile de me faire vacciner. 10 jours après, j'ai changé d'avis. Parce que notre médecin préféré, traitant et de quartier nous a dit qu'il fallait,  parce que j'ai lu ici ou là que le grand méchant virus est en train de muter, et sans doute également parce que je suis aussi moutonnier que le reste du troupeau français, qui prend d'assaut les centres de vaccination.

N'ayant pas reçu le précieux sésame de Mâme Bachelot, cela fait plusieurs jours que Chérie de Sammy et moi-même téléphonons au 0821-444-421 -quoi ? vous ne le connaissez pas par cœur ? le numéro à 0,12€ la minute ?- et que, après un guidage par une voix synthétique des moins mélodieuses, nous retrouvons le bec dans l'eau, gros jean comme devant, pris au dépourvu, quand le clic final fut venu. Car la machine te raccroche au nez, après un sec et définitif message d'échec.




Voilà pourquoi, aujourd'hui, j'ai décidé de prendre le taureau par les cornes et sur mon temps de repas pour me rendre directement dans ce fameux centre, prendre ce fameux rendez-vous, pour qu'on nous fasse ce fameux vaccin, et qu'on en finisse !

Mauvaise idée. C'est ce que je me suis dit quand j'ai vu le parking désert. Après midi, tu peux aller te faire inoculer ailleurs. Je tente quand même ma chance, m'approche des portes vitrées. Une dame me voit à l'intérieur, s'approche à grands pas, grands moulinets des bras et grande vitesse  de jambes de la porte sur laquelle elle se plaque, de peur que je ne tente d'entrer coûte que coûte sans doute, et s'enquiert, en criant à travers ce mur de verre qui nous séparera toujours, de mes desiderata.

Je vous la fais courte : non, pas de rendez-vous sur place. Par contre, il y a un numéro de téléphone. qui.. oui, bon, je sais...

A suivre ?

25 novembre 2009

Glander ou glaner ? Chronique du d, de Poe et de la sérendipité heureuse

Je me faisais hier la réflexion qu'il n'y a qu'un petit "d" de différence entre glaner et glander, et que sur internet, dans le domaine des blogs en particulier, c'est une lettre, ou plutôt un état d'esprit, qui peut mener à des résultats assez intéressants.

Je laisse à d'autres l'emploi de mots compliqués tels que procrastination ou sérendipité, encore que si le premier est employé à tort et à travers sur de nombreux blogs, le second n'est pas pour me déplaire. Francis Pisani nous explique qu'il donne à cet anglicisme le sens de "hasards heureux", et indique comment et pourquoi favoriser le plus possible leur survenue, notamment en pratiquant ce qu'il appelle le "ricochet virtuel".

Voilà une expression particulièrement heureuse ! Que de fois fois n'ai-je pratiqué le ricochet virtuel sans le savoir ? Grâce à Francis Pisani, je le ferai désormais en pleine connaissance de cause. Je sérendipiterai intelligent, tout en continuant à massacrer la langue française, bien sûr.

Et tout en manipulant des concepts qui me dépassent. Mais si je n'avais pas cette ambition, je n'aurais pas de blog.

Mais trève de digressions, parlons un peu du sujet qui motivait l'écriture de cette chronique, avant que je ne m'égare (de l'Est) avec ces deux notions légèrement snob : connaissez-vous Edgar Allan Poe ? Oui, bien sûr, sinon vous ne seriez pas là. (je flatte, mais c'est pour que continuiiez de procrastiner en ma compagnie)

Tandis que je procrastinais comme un beau diable en cliquant mollement sur les images défilant dans le nouveau Netvibes Wasabi, je suis tombé -par un hasard heureux- sur une image qui a déclenché toute une série de ricochets virtuels. J'en ai le cerveau encore tout éclaboussé.



Comme vous connaissez Poe, cette gravure doit immédiatement vous évoquer quelque chose, non ? Un indice : la traduction de la phrase sous l'image donne ceci "Le bateau semblait suspendu comme par magie, à mi-chemin de sa chute, sur la surface intérieure d’un entonnoir". Ca y est, vous y êtes ? Il s'agit bien entendu d'une illustration pour La descente dans le maëlstrom.

C'est là que je me suis mis à faire des ricochets sérendipitesques dans tous les sens. J'ai commencé par trouver la page Flickr d'origine, et Flickr, pour les procrastineurs en quête de sérendipité, c'est le nirvana. La première chose qui saute aux yeux, c'est que nous avons sans doute là l'intégralité du travail d'un certain Harry Clarke sur Poe ; la seconde, c'est qu'il avait beaucoup de talent.


"Pour l'amour de Dieu, Montresor ! Oui -dis-je-, pour l'amour de Dieu"
La barrique d'amontillado

Le propriétaire de cette page Flickr a un blog, A journey round my skull, joyeusement sous-titré "Unhealthy book fetishism from a reader, collector, and amateur historian of forgotten literature. Recent obsessions: illustration and graphic design." Ce qui peut se traduire de la façon suivante : "Fétichisme malsain d'un lecteur, collectionneur et historien amateur de littérature oubliée. Obsessions récentes: l'illustration et le design graphique". (Allez sérendipicrastiner du côté de Google traduction, l'affichage des résultats au fur et à mesure que vous taperez la phrase d'origine vous fera comprendre pourquoi il ne sert désormais plus à rien d'apprendre les langues étrangères)

Il va sans dire que ce titre m'a intrigué. J'ai donc cherché (deuxième ricochet) d'où il pouvait bien tenir son origine. Bien m'en a pris, j'ai ajouté un nouvel élément à cette pyramide de choses qui me feront me coucher moins sot ce soir : Voyage autour de mon crâne est un roman de Frigyes Karinthy, écrivain hongrois comme son nom l'indique, qui raconte comment les trains qu'il entend dans sa tête sont le premier symptome de sa tumeur au cerveau. Il en sera opéré, avec succès (en 1936 !) et mourra bêtement deux ans plus tard.

Une telle histoire valait bien la peine d'être découverte non ?


En moi tu existais, — et vois dans ma mort, vois par cette image qui est la tienne,
comme tu t’es radicalement assassiné toi-même !
 William Wilson 


Sentant qu'il fallait battre le ricochet pendant qu'il était chaud, je décidai alors de faire un sérendipas de côté, pour en savoir plus sur Harry Clarke. A ma grande surprise, ma première découverte a été d'apprendre que la Wikipédia française n'a pas d'entrée sur lui. Mais la richesse du web, c'est justement qu'il existe toujours un passionné de quelqu'un ou de quelque chose, et donc une page en rapport. Le chouette site de Rocbo m'a confirmé cette règle une fois encore.

Page du site Rocbo.chez-alice.fr consacrée à Harry Clarke

Clarke (1889-1931) n'est pas seulement illustrateur, il est avant tout maître verrier. Son dada, ce sont les vitraux. Ses illustrations de Poe et d'Andersen, c'était pour passer le temps. Une sorte de sérendipité de luxe finalement.


"...jeté profondément, bien profondément, et pour toujours, dans une fosse ordinaire et sans nom"
L'ensevelissement prématuré - et son bonus pour les sérendipiditeurs acharnés

Il n'y a qu'un petit d de différence entre glaner et glander. La sérendipité n'est que le luxe des curieux.

16 novembre 2009

Lecture en cours : L'Aleph / Jorge Luis Borges

Dans les palais que j'explorai imparfaitement, l'architecture était privée d'intention. On n'y rencontrait que couloirs sans issue, hautes fenêtres inaccessibles, portes colossales donnant sur une cellule ou sur un puits, incroyables escaliers inversés, aux degrés et à la rampe tournés vers le bas. D'autres, fixés dans le vide à une paroi monumentale, sans aboutir nulle part, s'achevaient, après deux ou trois paliers, dans la ténèbre supérieure des coupoles.
L'immortel in : L'Aleph / Jorge Luis Borges


Cet extrait m'a fait penser à cette image, assez connue, d'Escher. Mais ce qui est peut-être encore mieux, c'est qu'à l'avenir, cette image me fera penser à ce conte de Borges... Voilà encore un phénomène de symétrie qu'il n'avait peut-être pas prévu.

Je dis peut-être, car avec Borges, on ne peut jamais être complétement sûr...

Mise à jour :  petit renvoi d'ascenseur à l'ami Olivier, qui apporte, dans une revue, une intéressante référence à Gödel, Escher, Bach : les brins d'une guirlande éternelle, livre dont je confesse avoir jusqu'à ce jour totalement ignoré l'existence !

10 novembre 2009

Chronique polémique - à propos de dignité

Je viens de lire un article sur Koztoujours, où il est question d'euthanasie, d'une proposition de loi en la matière, et de sa farouche opposition à icelle.

Nous avions brièvement échangé via Twitter quelques jours auparavant au sujet d'un tract qu'il promouvait via ce support - forcément brièvement, Twitter ne se prêtant pas aux longues démonstrations, mais plutôt aux échanges d'idées ou de liens, parfois stériles, car à sens unique.

Je ne sais pas trop par quel bout prendre ce problème, tant il est délicat, complexe, explosif, et tant je ne me sens pas qualifié pour traiter de cette question. Cela dit, je ne suis pas moins qualifié que la plupart des autres personnes qui se sont emparé du sujet au nom de leurs seules convictions. Par-contre, j'avoue avoir un peu peur de faire dans la discussion de comptoir. Tant pis, j'aurais au moins essayé d'exposer mon avis, à travers cette chronique qui sera une remise au propre du long commentaire que j'ai laissé sous son article.

Sans doute fais-je partie de ces personnes émues par quelques cas médiatisés, Koz en cite quelques uns dans son article, l'argument implicite étant que quelques situations dramatiques ne devraient jamais justifier une loi généralisant telle ou telle pratique qui serait, par essence, "à côté de la plaque". Sur ce plan là, je suis absolument d'accord avec lui. D'ailleurs, ce type de réflexion s'applique à bon nombre de sujets, pas seulement à l'euthanasie, mais à tous les thèmes sur lesquels la politique est amenée à se pencher : une loi dictée par l'émotion, après un événement tragique mais individuel, sera presque toujours une mauvaise loi.

Cependant si je comprends ses inquiétudes et le sens de son argumentation, je n'arrive pas à partager sa conviction sur ce sujet : être contre l'euthanasie d'une manière irrévocable, partout, tout le temps. Dans mon esprit, euthanasie ne se confond pas avec fin de vie, et pas non plus avec "se débarrasser d'un vieux, d'un malade... d'un improductif" ; je vois parfaitement où sont les dérives, et j'imagine très bien les risques d'une démarche poussée à son paroxysme.

Si je dois mourir d'une longue maladie, comme on dit hypocritement, ou si je dois, l'âge venu, voir ma décrépitude progressive me transformer en charge pour mes proches, ce n'est pas pour ces raisons que je songerais demander un suicide médicalisé. Les points pour lesquels je ne peux pas être d'accord avec l'article de Koz, et ceux qui défendent la conviction du "droit à la vie" d'une manière générale, sont résumés dans sa phrase de conclusion, évoquant une personne qui préférerait la mort à l'indignité qu'elle lirait dans notre regard. Je trouve qu'il pêche par excès d'idéalisme.

Je ne pense pas que si Chantal Sébire qu'il évoque dans son texte, ait souhaité mourir, ce soit pour fuir le regard des autres, mais j'y reviendrai plus loin ; je ne pense pas que si Vincent Humbert (qu'il ne cite pas, mais qui est pour moi un cas bien plus emblématique) a écrit au Président de la République d'alors pour demander le droit à mourir dans la dignité, ce soit pour fuir une indignité qui lui aurait été imposée par ce même regard.

Vous souvenez-vous de Vincent Humbert ? Il n'était ni vieux, ni malade, ni voué à une mort précoce et douloureuse. Non. Il a juste été victime d'un accident aux conséquences dramatiques, un accident de voiture comme cela peut nous arriver à tous. Il est devenu tétraplégique, aveugle et muet, usant seulement d'un doigt encore mobile pour communiquer. Tétraplégique à 20 ans, c'est l'assurance d'une longue vie immobile, prisonnier d'un corps auquel on ne peut absolument plus rien demander.

Sans tenir compte de quelque idéologie que ce soit, sans se raccrocher à des croyances religieuses ou à des convictions politiques, pensez-vous sincèrement que cette vie là soit intéressante ? J'irais même plus loin, pensez-vous que cette vie soit digne d'être vécue ? Avez-vous tenté d'imaginer, pendant quelques minutes, l'enfer que cela peut-être, de se voir transformé en objet pensant, totalement incapable d'interagir avec le monde extérieur ? Loin de moi l'idée de décréter l'euthanasie de tous les tétraplégiques, je pressens l'argument et m'empresse de le contrer. Mon opinion est que si, me retrouvant dans cet état, je voulais me suicider parce que je considère que la vie ne m'offrira plus rien à espérer, sauf plusieurs décennies d'agonie, je ne le pourrais pas.

Je voudrais citer ici Moktarama, autre intervenant au débat qui semble naître sous le billet de Koz, et qui complète fort bien mon propos :

Ne pouvez-vous ou voulez-vous pas comprendre qu’il est parfois question d’autre chose que la dignité « externe » ? Que certains ne veulent pas connaître une indignité de « leur point de vue » , indignité qui n’a de juge que leur égo et non ce que l’extérieur leur renvoie ? Que leur volonté d’en finir ne dépend pas par conséquent des autres mais de lui-même ? Que la douleur puisse être plus forte que tous les analgésiques de la terre ? Qu’un départ « en paix » soit jugé plus estimable qu’un départ atrocement douloureux ?

[...] je persiste à estimer qu’on a le droit de choisir le moment où on meurt. On peut tout faire pour repousser ou éviter ce moment, mais il est simplement impossible d’échapper à la volonté propre de certains (et c’est bien pour ça que de nombreux médecins se trouvent face à une telle situation, sans aucun cadre juridique, dans leur carrière).


Dans le cas de Vincent Humbert, l'impossibilité de se suicider est une contrainte liée à son état, et certains seront peut-être tentés de me répondre que c'est un cas exceptionnel. En passant outre le fait que la notion de "cas exceptionnel" me dérange profondément (sa demande était-elle moins légitime pour autant ? Que fallait-il faire ? Lui dire tant pis, c'est pas de chance ?), un autre élément du texte de Koz me dérange : il affirme que le cas de Chantal Sébire était traitable, et que c'est elle qui a refusé toute médication, sans fournir aucun élément d'explication, il se contente de l'affirmer comme si c'était une évidence. Au delà de cette faiblesse dans son argumentation, est-il vraiment raisonnable de penser que le problème se situe à ce niveau ? Et si elle avait voulu se soigner et que le traitement ait été inefficace, aurait-elle eu davantage le droit à être aidée à mourir ?

Admettons donc qu'elle n'ait pas voulu se soigner quand il était encore temps, cela voudrait-il dire qu'elle devait en payer le prix et souffrir jusqu'au bout ? Ce que j'ai retenu de cette affaire est en quelque sorte le contre-exemple de l'histoire de Vincent Humbert : Chantal Sébire avait les moyens physiques de mettre fin à ses jours par elle-même, mais elle voulait mourir dans la dignité, et non se suicider en se cachant, souffrir encore une fois pour mourir, exposer sa famille à trouver son cadavre dans un état pas très digne. Bref, l'euthanasie au nom de la dignité humaine, quand les opposants à l'euthanasie affirment exactement l'inverse...

Je ne juge pas, je me contente de constater. Et j'ai bien conscience qu'il y a une bien trop grande dimension affective qui rentre en ligne de compte dans ce débat, chacun intervenant en fonction de ses convictions les plus profondes, de ses croyances, de son vécu, parfois de ses drames personnels, de ses angoisses ; de sa position face à la mort, en fin de compte.


de la mort al bes


En terminant ce texte, je me rends compte que j'ai peur de passer aux yeux de certaines personnes pour un barbare souhaitant une mort médicale généralisée pour tous, alors que tel n'est pas mon propos. Koz et "L'Alliance pour les droits de la vie" remplacent systématiquement euthanasie par soins palliatifs, or je pense que ce sont deux choses différentes, qui ne sont pas toujours conciliables. Dans 99% des cas, on accompagnera la personne jusqu'au bout, en lui conservant sa dignité. Mais que faire pour les autres ? Pour les "cas exceptionnels" qui ne rentrent pas dans les cases ?

Quels soins palliatifs pour un Vincent Humbert ? Quelle fin de vie digne pour ceux qui veulent en finir dans la dignité et sans souffrances ?

Je comprends d'autant mieux le rejet de certains que je m'estime bien incapable de répondre à ces questions.

05 novembre 2009

La fin du web ? (Vers un monde orwellien)

Quelques extraits d'un texte assez effrayant, peut-être un peu trop alarmiste, mais mieux vaut être averti trop tôt que pleurer trop tard, publié sur ReadWriteWeb France, et que je ne saurais trop vous inciter à lire :
Selon un projet de traité commercial international jusqu’ici secret, un accord multilatéral de lutte contre la contrefaçon annoncerait l’arrivée de temps sombres pour les fournisseurs d’accès internet et les internautes dans un futur proche.
Un chapitre, rédigé par les américains, imposerait aux fournisseurs d’accès internet de faire la police des contenus utilisateurs, de couper l’accès internet de ceux qui porterait atteinte aux copyrights, et de censurer les contenus accusés de les violer, et ce sans la moindre preuve apportée pour soutenir l’accusation. Ce même chapitre interdirait totalement toute manœuvre visant à contourner les DRM, même pour accéder à son propre travail.

Cela impliquerait que le dispositif de la riposte graduée, inauguré en France, s’appliquerait à quiconque accusé de violer le copyright de quelque façon que ce soit. Un lip-sync, un photomontage, ou même une photo de votre moitié posant fièrement devant la tour Effeil est, rappelons le, une infraction aux copyrights.

Nos amis de l’Electronic Frontier Foundation, grands gardiens des libertés sur internet, on fait la déclaration suivante : “Les négociateurs Américains mettent au point une législation qui portera atteinte à l’industrie des technologies américaine et aux citoyens du monde entier. [...] Le texte de l’ACTA ouvre la porte à des changements majeurs dans les régimes appliqués à internet depuis le milieu des années 90, qui préservaient un status quo. Ces régimes ont permis et porté à la fois une innovation technologique phénoménale et une avancée de la liberté d’expression dans un monde où les contenus générés par les utilisateurs ont fait leur apparition, choses que nous considérons comme acquises aujourd’hui."

L’enjeu est désormais clair, il ne s’agit plus du tout de défendre un quelconque piratage, mais de ne pas prendre la voie d’une société répressive basée sur la surveillance généralisée, des enjeux parfaitement décrits par Orwell dans 1984

Lire l'article complet sur ReadWriteWeb France : "Dictature 2.0 : think global, act local"

29 octobre 2009

Comment on fait les bébés ?

Oh, c'est gênant comme question... Non, sans rire, vous ne savez pas ? Bon, éloignez les enfants, je vais vous expliquer. En vidéo.



C'est mignon hein ? Sans doute connaissiez-vous déjà ce petit film, mais c'est toujours un plaisir de le revoir.

26 octobre 2009

Brock Davis sens dessus dessous



Brock Davis est un illustrateur diffusant ses créations sur le site communautaire Behance .

En 2009, il s'est lancé le défi de faire "quelque chose de cool chaque jour" (Make Something Cool Every Day, je ne prétends pas traduire parfaitement), ce qui donne une page assez longue à afficher, mais qui recèle pas mal de trouvailles.

J'aurais pu retenir sa série de personnes avec de faux yeux, qui est très drôle, où celle de gens téléphonant avec des bananes, mais j'ai préféré m'attarder sur les objets photographiés par en-dessous. Ne me demandez pas pourquoi, je ne le sais pas moi-même.



C'est sans doute parce que ces photos, en permettant de voir un objet banal sous un angle différent, donnent à ceux-ci une nouvelle dimension ; mieux que ça, on ne sait pas trop si on est passé dans le sol sous les boîtes de conserve, ou bien si le chien est en train de voler au-dessus de nos têtes.



Pour reprendre l'expression cliché et consacrée "c'est simple, mais il fallait y penser".



 

 

 

***

A propos de Brock Davis :

- Son profil sur Behance
Son site

24 octobre 2009

Encore une tranche pour la route ?

J'ai parlé cet été du projet Star Wars uncut ; je terminais mon billet en disant que c'était une affaire à suivre. Parole tenue aujourd'hui, grâce au site culturel Bien Bien Bien ;-)

L'initiateur du projet, Casey Pugh, a mis en ligne un trailer assez sympa, qui donne vraiment envie de jeter un coup d'oeil, voire deux, au résultat final :


23 octobre 2009

Dis moi où tu travailles...

Joe Holmes est un photographe new-yorkais de 55 ans, plutôt en vogue d'après les photos qu'il publie sur son compte Flickr, et auteur d'une série de clichés assez remarquables sur les environnements de travail, dégottée sur le blog A continuous lean, via Ffffound.


On peut presque deviner la profession et la personnalité de la personne qui travaillait là quelques secondes avant que la photo soit prise. De l'établi fonctionnel au bureau minimaliste, en passant par le foutoir intégral où seul le propriétaire légitime peut se retrouver, chacune de ces photos somme toute intimistes nous plonge dans l'univers d'un métier particulier, en nous obligeant, le sujet humain étant momentanément absent, à porter une attention accrue aux détails.




Le travail de Joseph Holmes finalement, c'est ça : donner vie à l'outil de travail, révéler l'esthétique qui se cache derrière l'outil, qu'il soit industriel ou bureautique.

Le portfolio complet est visible sur son site.





21 octobre 2009

Mauvais classement

Ca allait déjà mal, et ça va pas mieux. Pire, ça empire.

Ma santé va très bien, merci. Je ne parle pas non plus des performances économiques du pays, ni du niveau de propagation du virus de la grippe A "H-a-H-a", qui sont néanmoins deux diversions, forts efficaces pour ne pas parler d'autres chose.

Je parle de la liberté de la presse. En 2007, la France, glorieuse patrie des droit des z'hommes libres z'et égaux, n'était pas très bien placée ; en 2009, c'est pire.

Source : copie d'écran du site http://www.rsf.org

C'est pas moi qui le dit, c'est RSF. Comme tous les ans d'ailleurs. Je vous laisse parcourir le classement ; j'ai dû m'y reprendre à deux fois pour trouver la France. Parce que j'ai cru l'avoir loupé.
Il est inquiétant de constater que des démocraties européennes comme la France, l’Italie ou la Slovaquie continuent, année après année, de perdre des places dans le classement

16 octobre 2009

Le vendredi, c'est permis : le gombinoscope

 Le gombinoscope, autrement nommé par ses auteurs le générateur de têtes de cons, c'est la petite détente pour aborder sereinement le week-end.


L'objectif de la chose est de mélanger des parties de visages pour en créer de nouveaux, beaucoup plus... exotiques. Il est vrai que quand on associe le visage de Tatouille, les yeux d'Ambreaker, le nez de Zaza et la bouche de Fabgi, on obtient quelque chose de plus intéressant.




C'est bête mais pas méchant, et c'est assez drôle. 5 minutes seulement, mais c'est déjà ça. Si j'étais lyrique, je verrais même dans cette application très bien réalisée un hommage implicite à l'harmonie naturelle des visages. Mais je n'ai pas le temps d'être lyrique aujourd'hui.


28 septembre 2009

Chronique des cancres qui réussissent


Savez-vous quel est le point commun entre Balzac, Darwin, Einstein, Napoléon, Walt Disney ?

Ils sont tous morts ? Certes, mais ce n'est pas là que je voulais en venir. Ils aimaient tous dessiner des souris avec de grandes oreilles ? Pour l'un d'entre eux, c'est effectivement une certitude, pour les autres, je crois que vous vous avancez un peu. Ils étaient tous connus pour leur humour ? Einstein, c'est sûr, mais pour les autres, c'est pas dit.

Alors ? Quoi ? Ils sont tous dans le dictionnaire, c'est ça ? Non. C'est mieux que ça : ils sont tous dans l'encyclopédie. L'encyclopédie des cancres, des rebelles et autres génies, plus exactement. Car ils étaient tous des cancres. Des vrais nuls. Des habitués du fond de la classe et du bonnet d'âne.

A l'école, ils furent déclarés médiocres, inaptes, promis à l'échec : des cancres ! En famille, au travail, on a désespéré, on s'est exaspéré de leur caractère rebelle. Ils ont sommeillé près du radiateur ou multiplié les détours, avant de trouver leur voie ou d'ouvrir la bonne porte.

Tous, à un moment ou à un autre, se sont fait demander ce qu'on allait bien pouvoir faire d'eux. J'imagine sans peine les appréciations de leurs professeurs sur leurs bulletins : "Mon pauvre Honoré, vous croyez sans doute que votre frénésie de lecture et vos petites histoires vont vous menez quelque part ? Arrêtez votre comédie mon jeune ami".





Pour être tout à fait honnête, tous n'étaient pas mauvais partout ; certains, comme le jeune Balzac donc, ne s'intéressaient qu'à un domaine de prédilection et laissaient volontairement le reste de côté. Pour le petit Einstein, c'était les maths. Pour le petit Lennon, la musique.

D'autres ont eu une enfance difficile, voire malheureuse, comme Thomas Edison ou Charlie Chaplin, et ont dû, au final, s'inventer eux-même pour s'en sortir. Mais tous ont en commun d'avoir fait mentir leur entourage et les pronostics en devenant quelqu'un, en laissant une empreinte durable sur la science, la littérature, la musique, le cinéma, la peinture ; en modifiant le cours de l'histoire ou en se faisant couper la tête pour la bonne cause. (Oui, ça ne finit pas toujours bien)

Parce que rien n'est jamais écrit à l'avance. Parce que l'ex-cancre sera peut-être un jour étudié dans les écoles. Parce que dans la vie, l'essentiel est de suivre ses rêves.

On apprend au passage une foule de détails passionnants dans cette encyclopédie illustrée d'une façon gentiment ironique par Serge Bloch, grâce aux textes plein d'humour de Jean-Bernard Pouy.

Que Flaubert a passé son enfance dans un hôpital. Que les Beatles ont failli s'appeler les Moondogs. Que le petit Louis futur-XIV avait beaucoup d'humour et se moquait de ses précepteurs. Qui s'appelaient respectivement Hardouin de Péréfixe et La Mothe Le Vayer, logiquement transformés en Préfixe et Mothe de Beurre.

Que le vrai nom de Pablo Picasso est Pablo, Diégo, José, Francisco de Paule, Juan Nepomuceno, Maria de los Remedios, Crispianiano de la Santissima Trinidad Ruiz-Picasso.

Et plein d'autres choses encore.

Voilà donc un livre à mettre entre le maximum de mains, celles des enfants à qui il est primitivement censé s'adresser, mais aussi celles de leurs parents, qui ont peut-être besoin d'être rassurés...


***


L'encyclopédie des cancres, des rebelles et autres génies, textes de Jean-Bernard Pouy, illustrations de Serge Bloch ; sous la direction de Anne Blanchard. Gallimard jeunesse.

26 septembre 2009

La grippe A fait vendre... des livres !

Mais si, la grippe A fait vendre. Pas que des vaccins, des livres aussi.

La preuve ? C'est l'argument mis en avant -avec humour- par le site Babelio pour faire la promotion de son opération à l'occasion de la rentrée littéraire : en passant des heures dans les librairies pour feuilleter les nombreuses parutions de l'automne (normal, c'est la saison où tombent les feuilles...), on court un triple risque : la contamination, la hargne du libraire, et le lumbago !




A raison de 5 minutes par livre, le feuilletage de l'intégralité des romans de la rentrée représente 55 heures de lecture debout dans les rayons, soit 7 jours à gêner le passage, sous l'oeil noir de son libraire. Sans parler des inévitables lumbagos.

Pour éviter tous ces désagréments (auxquels on pourrait ajouter l'horreur de quitter son écran pendant plus de deux heures), Babelio a donc mis en place, pour la deuxième année consécutive, mais je l'avais loupé l'année dernière, la possibilité de découvrir des extraits de la rentrée littéraire : entre 3 ou 40 pages, en pdf, à consulter librement chez soi, pour se décider avant d'acheter.




L'histoire ne dit pas si on peut acheter dans la librairie la plus proche ou si il faut commander sur internet...

M'en fiche, j'attendrai qu'ils soient à la bibliothèque !



23 septembre 2009

La petite musique de l'écriture

Martin Winckler (je regrette de n'avoir pas encore lu ses romans, mais ils figurent sur ma liste mentale de lecture) a un blog (en plus de son site, mais ce n'est pas mon propos aujourd'hui) fort joliment intitulé "Chevaliers des touches - un blog pour écrivants". C'est une sorte d'atelier d'écriture, à la manière du regretté Paroles Plurielles, mais où l'auteur intervient à intervalles irréguliers pour publier un billet inspiré par les contributions des participants, l'actualité, ou son humeur du moment.

J'avais déjà apprécié le billet "A qui un écrivain offre t-il ses livres ?", sur la pudeur de l'écrivain à "faire la pub" de ses livres, et sur la portée du geste consistant à offrir un livre, qui n'est pas aussi anodin que ça.

Aujourd'hui, c'est son texte intitulé "Qui a le droit d'écrire ?" qui m'a plu.

Sans ôter le plaisir de la découverte, je dirais juste que c'est un petit coup de gueule pour que l'on arrête de sacraliser l'écrivain, pour dire qu'il n'y a pas de statut d'écrivain, et que ceux qui écrivent pour leur plaisir, pour leur tiroir ou sur un blog que personne ne lit sont autant des écrivains que celui qui est publié.

Longtemps, je me suis demandé si j'avais le "droit" de penser que j'étais écrivain.

Au fil de sa démonstration, il compare l'écriture à la musique : pour dire qu'il y a des écrivains amateurs tout comme il existe des musiciens amateurs, et que cela ne doit pas être péjoratif, ce sont juste des gens qui ont un métier à côté ; avant de pousser la métaphore entre les deux activités -c'est plus vers la fin du texte- en exprimant le côté musicien de tout écrivain :

[...] mais parce qu'écrire [...] était ma musique et le clavier, mon instrument. J'écoutais du jazz au casque, et j'avais le sentiment que le phrasé irrégulier de mon clavier faisait écho à celui de Bill Evans ou d'Oscar Peterson.

[...]

Sur ce blog, qui n'est qu'une estrade au fond d'un bar enfumé, j'ai posé mon piano à écran et je joue pour qui veut écouter. Et toutes celles, tous ceux qui le désirent peuvent monter avec leur instrument, et participer à la jam-session.
Ca ne vous donne pas envie d'aller voir ce qui se passe du côté de ce bar enfumé ?

21 septembre 2009

Lecture lente et lecture rapide

Lu il y a peu sur La République des livres :

Nous nous acheminons vers une lecture à deux vitesses qui obéit à deux rythmes différents. La première consiste à tenir un bloc de papier, un écran d’ordinateur ou un reader entre les mains, à s’engager dans une lecture en continu de textes longs et ininterrompus et à s’immerger en profondeur dans ce tête à tête pour lequel le temps ne compte guère. La seconde place le lecteur face à un bloc de papier, un écran d’ordinateur ou de téléphone portable, et lui propose de lire en discontinu un très grand nombre de choses de manière fragmentaire [...]

Encore faut-il faire l’effort de dépasser cette attitude immature qui consiste à désigner en l’internet le grand coupable et responsable de tous nos maux et dérèglements

Est-il nécessaire d'ajouter que je suis complètement d'accord ? Je suis un grand consommateur d'informations sur internet -informations en tout genre, déversées par les (trop) nombreux blogs et fils auxquels je suis abonné- ce qui ne m'empêche nullement de faire une grande consommation de livres (et de m'en vanter).

Je suis le premier à faire la distinction (mais de manière inconsciente, je suis un peu le monsieur Jourdain du flux) entre ces modes complémentaires de lecture : je suis capable de lire très vite plusieurs articles de journaux (en ligne ou sur papier), de parcourir les dernières productions de blogs pour geeks sympas, puis de passer du temps sur Eolas ou La République des livres ; de me plonger dans les plus de 1000 pages de Belle du seigneur ou de prendre un plaisir extrême à chaque nouvelle livraison de XXI, ce
journal que l'on qualifie encore d'OVNI de la presse alors qu'il se contente d'aller à contre-courant de cette tendance actuelle à favoriser la lecture rapide au détriment de la lecture lente, le flux au détriment du récit. Je pense y revenir prochainement.

15 septembre 2009

Chronique d'un lecteur en vacances, épisode 3 : Les aventures du capitaine Alatriste

"Il n'était ni le plus honnête ni le plus pieux des hommes, mais il était courageux. Il s'appelait Diego Alatriste." C'est par ces mots que s'ouvre le premier tome de la série de romans d'Arturo Pérez-Reverte sur les aventures du capitaine Alatriste.



C'est du vrai roman de cape et d'épée, de ceux qui plongent le lecteur en plein dans le dix-septième siècle. Car le roman de cape et d'épée se doit d'être du dix-septième siècle. Si on vous propose un roman de cape et d'épée qui ne se déroule pas au dix-septième siècle, refusez le, c'est une imposture.

Ces indispensables prémices posés, penchons nous un peu sur le cas du capitaine Alatriste. D'abord il n'est même pas capitaine, mais tout le monde l'appelle comme ça. C'est un titre honorifique en quelque sorte. Et l'honneur, à cette époque, était une chose avec laquelle il ne valait mieux ne pas plaisanter. Celui qui manquait à cette règle avait vite fait de se retrouver avec six pouces d'acier dans le corps. Encore qu'il serait plus juste de dire "en travers du corps", parce que vous pouvez prendre le problème comme vous voulez, mais une épée de six pouces qui vous rentre dans la poitrine, ça ressort de l'autre côté. Surtout lorsqu'elle est maniée par la puissante poigne du capitaine Alatriste.




Ensuite, au physique comme au moral, le capitaine Alatriste est de ces hommes dont il vaut mieux ne pas chatouiller la moustache, qu'il a d'ailleurs bien fournie.Ancien soldat ayant survécu à toutes les batailles, spadassin par nécessité, fine lame par métier et fier par nature, car espagnol, l'homme impressionne par son calme et sa bravoure. Ajoutez à cela une restitution très précise de l'atmosphère du début du règne de Philippe IV (je le sais, j'y étais), dans un empire espagnol décadent et corrompu, et vous aurez un cocktail savoureux, roman de cape et d'épée certes, mais avec de vrais personnages. Roman historique certes, mais avec du caractère.


Autant dire qu'on prend du bon temps à les lire, ces aventures. Ce ne sont que duels à l'épée et à la dague, chapeaux à plumes, cape sur le bras et tavernes obscures. Le reste se composant essentiellement de batailles rangées, d'abordages, de complots ; avec pour méchants récurrents un inquisiteur sans pitié, un conseiller royal sans scrupules, un tueur à gages sans remords et une belle sans cœur. Le tout joyeusement saupoudré de tudieu, mordieu, morbleu et autres plaisants jurons qui donnent envie de changer de siècle.



Vous l'aurez compris, tous les éléments sont réunis pour que les pages de ces romans somme toute assez courts se lisent à grande vitesse et avec grand plaisir. L'astuce -et le paradoxe- de la narration est vieux comme l'art du roman : c'est un jeune garçon, Íñigo Balboa, que le capitaine a pris sous sa protection, qui raconte leurs aventures bien des années plus tard. Le paradoxe réside dans le fait que le garçon n'assiste pas à tout les événements qu'il décrit et que ce n'est sûrement pas le capitaine, réputé peu causant, qui les lui a raconté.

Mais ceux qui s'en offusquent n'ont pas compris que c'est là toute la magie de l'art romanesque.

Mordieu.

***

Les aventures du capitaine Alatriste, par Arturo Pérez-Reverte : 
- Le capitaine Alatriste
- Les bûchers de Bocanegra
- Le soleil de Breda
- L'or du roi
- Le gentilhomme au pourpoint jaune
- Les corsaires du levant

12 septembre 2009

Ca devait arriver...

Que se passe t-il ici ? C'est tout chamboulé ?
Eh bien oui.

D'une part, ce blog a 3 ans 1/2, il était temps de faire bouger un peu les choses. D'où ce nouveau thème, plus moderne, plus beau, plus... différent, mais pas trop (je vous dirai peut-être un de ces jours à quoi vous avez échappé).

Blogger, par Kuribo - Illustration publiée sous licence Creative Commons



D'autre part, j'ai craqué : j'ai rapatrié tous les billets de futur feu-Culture web dans les Chroniques, parce que je n'avais plus envie de me poser de pseudos-problèmes de conscience pour savoir si il fallait parler de tel sujet sur un blog plutôt que sur l'autre ; mais en gardant quand même une petite séparation entre les différents types de contenus : les chroniques, les textes, les brèves, la culture du web. Et les outils, parce que l'on est sur internet, et que tôt ou tard il y a des choses dont il faut apprendre à se servir.

Ces différentes rubriques (qui évolueront sans doute, nous verrons ça petit à petit) sont accessibles depuis les (très jolis) onglets du haut de la page. Pour le reste, des modifications seront sans doute à prévoir, mais j'ai fait en sorte que les habitués des deux blogs retrouvent leurs affaires.


Je profite de ce billet de présentation pour faire un peu de publicité à quelques productions, anciennes ou plus récentes, dont je suis un peu plus content que les autres !

05 septembre 2009

Nino Quincampoix* l'américain

Dans la grande série des sites web bizarres et poétiques dont internet regorge, je voudrais aujourd'hui parler de grocerylist.org, "the world's largest online collection of found grocery lists". Je ne traduis pas, je pense que tout le monde a compris.

Un site qui se contente de scanner et aligner des centaines des milliers (!) de listes de courses ? C'est tout ? Oui, à peu près. Depuis sa création, il semblerait que le site se soit un peu étoffé, prodiguant ici des vidéos expliquant comment est fabriqué tel produit de consommation courante (ici : le bacon ; ça fait envie...), ailleurs des trucs pour consommer moins cher, bref, ça pourrait faire quelques beaux morceaux choisis pour les émissions de coaching style M6...


Mais, fondamentalement, l'activité principale de la maison reste la liste de courses trouvée par hasard. Enfin, par hasard, pour en avoir autant, l'auteur a bien dû les chercher comme il faut. Il s'est donné tellement de mal qu'il en a même tiré un livre et une "liste ultime de courses" (the ultimate grocery list"), téléchargeable en pdf, censée éviter à son heureux possesseur les affres du produit oublié.

Maintenant, nous savons comment on dit Nino Quincampoix* en américain : ça se prononce Bill Keaggy.

***

(*) Nino Quincapoix, vous ne vous souvenez pas ? C'est l'amoureux d'Amélie Poulain, celui qui collectionne les photomaton ratées...

04 septembre 2009

Un lecteur en vacances, épisode 2 : A la croisée des mondes

Mon marathon de lecture estival s'est poursuivi en douceur avec le premier tome de la trilogie A la croisée des mondes de Philipp Pullman, un livre certes dit "pour ados", mais que je n'ai eu aucun scrupules à lire. Et j'en ai eu moins encore à dévorer la suite dès notre retour. Je dois confesser que depuis la série des Harry Potter, je recherchais une série de ce style : facile à lire, avec beaucoup de rebondissements, une histoire captivante et des personnages attachants. Pour la plage et l'imagination.

Mes attentes n'ont pas été complètement satisfaites (ce n'est pas facile de détrôner Harry), mais je ne voudrais pas faire la fine bouche : on est happé par l'histoire dès les premières lignes, qui nous font entrer de plain-pied dans un monde différent du nôtre, avec l'évocation d'objets et de concepts qui ne seront éclaircis que petit à petit. Ainsi, tout le monde se promène avec son daemon, les appareils fonctionnent à l'énergie ambarique et les scientifiques pratiquent la théologie expérimentale. Même les boussoles ne tournent pas vraiment rond. Et les ours, non contents de parler, portent des armures.


Monde fantastique, objets magiques, créatures étranges : Pullman utilise toutes les ficelles de l'héroic fantasy mais l'intérêt principal du roman est ailleurs. Cette notion de théologie expérimentale par exemple. Mine de rien, il s'agit du thème principal autour duquel tourne toute l'intrigue. Mais ça, on ne peut pas le savoir quand on se plonge dans les aventures de Lyra.

Car ce qui est pressenti dès le premier tome sera confirmé par la suite : derrière la façade "roman jeunesse" se cache une entreprise de démolition du fanatisme religieux, voire des religions tout court. Dans le roman, les méchants, c'est les religieux. Qu'importe la croyance, c'est un problème de concept. Si ils croient, c'est qu'ils se sont trompés.

"La religion chrétienne n'est rien de plus qu'une très puissante et très convaincante erreur."

Autant dire que c'est avec ravissement que j'ai poursuivi ma lecture après avoir découvert cet aspect du livre, mais il ne faudrait pas pour autant le réduire à un pamphlet anti-religion. Il y a une vraie histoire, et le ton est assez adulte -je veux dire par là qu'il y a des morts, et que les méchants ne font pas de la figuration.

L'autre élément clé du récit est évidemment la notion de mondes parallèles. D'où le titre, auront déjà compris les plus perspicaces d'entre vous. Je ne m'étendrai pas sur cette idée, je me suis promis de ne pas dévoiler l'intrigue en débutant l'écriture de cette chronique.

Quoi d'autre ? La recherche du père est un thème qui sous-tend discrètement toute la trilogie ; la découverte que celui-ci n'est pas invincible est son inévitable pendant. C'est bien sûr un roman d'apprentissage, les jeunes héros ont une quête à accomplir, ils en ressortent différents, grandis ; l'exercice semble quasiment obligatoire pour ce type de livre.

C'est aussi, plus finement, une histoire qui révèle l'importance de raconter des histoires. Lyra commence par inventer des mensonges, puis apprend que l'on peut raconter sans mentir, juste en imaginant. Construire à partir de ce qu'on a vécu, c'est sur cette idée que Pullman conclut, et tire une morale digne du conteur qu'il est : les histoires, c'est fait pour vaincre la mort.

***

A la croisée des mondes : Les royaumes du Nord, La tour des anges, Le miroir d'ambre / Philip Pullman

02 septembre 2009

Des collines d'un vert bien saturé

Dans la foulée de mon article d'hier sur l'image "colline verdoyante" de Windows XP, je voudrais ajouter aujourd'hui un mot sur des photographies issues du site amolife : Incredible Photography of Fields.

Vous voyez le lien avec l'article précédent ? 

Faut traduire ça comment ? "Des photos incroyable de champs "? Sans doute. Mais ce qui m'a paru incroyable, c'est l'extrême saturation de ces photos. Un peu ça va, mais là, c'est presque trop... à la limite du kitsch. Je vous laisse juger.

01 septembre 2009

Des collines verdoyantes jusqu'à plus soif

Je pense que tout le monde connait la fameuse image "Colline verdoyante", fonds d'écran par défaut de Windows XP, et qui serait de ce fait l'image la plus diffusée au monde :


A partir de cette photo somme toute banale, on peut dire quelque petites choses.

A la manière de son article sur Wikipedia, où des geeks expliquent à qui veut bien les lire la genèse de cette photo, on peut donner le jour et l'heure où elle a été prise, la météo lors de la prise de vue, le type d'appareil utilisé et toute une foule de renseignements passionnant comme l'algorithme de compression utilisé.

On peut aussi trouver le même paysage, en automne, avec des vignes, toujours sur Wikipedia :


Si ce n'est pas le même endroit, ça a au moins le mérite de ressembler.


En cherchant un petit peu, on découvre vite que l'icône a eu son lot de parodies, détournements, réutilisations ou œuvres d'art :



Et si vous cherchez vraiment bien, vous pourrez même y voir la tête du diable... (mais il faut vraiment être resté trop longtemps sur la photo à ce stade)

28 août 2009

Chronique de l'été qui s'enfuit

Ce vendredi soir, au supermarché, c'était le dernier vendredi de vacances avant la rentrée. Ce n'était pourtant pas la traditionnelle ruée, les familles n'ayant pas encore reçu les listes de fournitures absolument indispensables à la réussite de l'année scolaire de leurs rejetons, cahier blanc à petits carreaux, feuilles perforées à simple interligne, stylo plume à encre bleue, cahier de texte, compas, rapporteur et autres crayons HB avec la gomme au bout.

Pour ma part, c'était mes préférés, les HB de chez staedtler, superbes dans leur habit à rayures jaunes et noires, comme Nestor, le domestique du château de Moulinsart. Et la gomme ne servait pas à tant à effacer qu'à mâchonner pensivement, ou plutôt distraitement, lorsque les cours de mathématiques tendaient à durer un peu trop longtemps.


Il régnait dans les allées une douce nostalgie qui ne disait pas son nom, perceptible seulement à quelques indices épars ; une atmosphère qui n'était pas tout à fait celle d'une fin de vacances, et pas encore celle d'un début d'école, où quelques stigmates des activités des dernières semaines restaient visibles. Beaucoup de shorts, de manches courtes et de lunettes de soleil ; des kilomètres carrés de peau bronzée, des T-shirt I love Barcelone, des badges à la gloire des USA, des paniers de paille tressées et des chapeaux de la même matière.

Et des tongs. C'est effarant le nombre de pieds chaussés de tongs que j'ai pu voir. A croire que la tong, plus que le short, les lunettes de soleil ou la crème solaire, sont l'accessoire incontournable du costume du vacancier.

Sauf pour l'homme qui s'était trompé de saison. Je l'ai vu arriver, à côté de moi, alors que j'attendais placidement mon tour pour poser mes achats sur le tapis roulant. Pas de short, pas de chemisette, et encore moins encore de tongs. Il portait un jean's, un sweat-shirt en polaire assorti d'une capuche et des chaussures montantes noires en cuir épais.

Peut-être rentrait-il d'un pays très froid ? Peut-être s'était il fait voler sa valise à l'aéroport ? Ou alors, peut-être voulait-il simplement conjurer à sa façon la douce nostalgie de l'été qui s'enfuit.
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Source de la photo : Flickr