20 juillet 2012

Une vie, Guy de Maupassant

Jeanne Le Perthuis est heureuse : tout à l'heure, son père va l'emmener hors du couvent où elle a passé ces dernières années. Et déjà, elle rêve. Elle rêve à sa vie qui commence, à l'avenir qui l'attend. Comme toutes les jeunes filles, elle rêve au prince charmant, celui qui arrivera forcément un jour, qui l'aimera, qui saura se montrer tendre... Bref, elle rêve au bonheur.

Le château des peuples
Il faut dire qu'elle est plutôt favorisée par la vie, Jeanne. Fille de tendres aristocrates normands, son avenir est tout tracé, en petits pointillés dorés. Elle a déjà le château pour abriter son futur amour, il ne reste plus à celui-ci qu'à apparaître. Le prince charmant rêvé entre en scène à peine quelques jours après. Vite donc. Trop vite peut-être.

Il prend l'apparence de Julien de Lamare, pas exactement tombé du ciel mais plutôt sorti de la bonne famille la plus proche ; il est beau, poli, attentionné, tout ce qu'il faut en somme - sauf qu'il est fauché, mais c'est pas grave, papa et maman Le Perthuis sont généreux. La vie, c'est si simple, le bonheur arrive si vite, les rêves de jeune fille semblent faits pour se réaliser. Les premières pages du roman sont un mol paradis de guimauve rose. Sauf que Maupassant va être cruel avec son personnage. La guimauve est fourrée au poivre. Contrairement à un certain presbytère cher au coeur de Rouletabille, le beau Julien va très vite perdre de son charme et de son éclat, révéler sa vraie nature violente, avare et hypocrite, tromper sa femme avec la domestique, puis avec la voisine, et finir tué par le mari d'icelle.
"Il semblait tout autre depuis le retour de leur voyage de noces, comme un acteur qui a fini de jouer son rôle et reprend sa figure ordinaire."
Oeuvres complètes illustrées de Guy de Maupassant. 23, Une vie / oeuvres complètes illustrées de Guy de Maupassant ; ill. de A. Leroux ; gravures sur bois de G. Lemoine
Source: gallica.bnf.fr
Il aura quand même le temps de faire un enfant à sa femme au passage. Piètre consolation pour celle qui croyait tenir là le bonheur de ses vieux jours : grandissant, il fera le malheur, le déshonneur, puis la ruine de sa mère. Recueillant l'enfant -né d'une prostituée- de son fils à la toute fin du roman, elle prononce cette phrase digne d'un Forrest Gump du XIXème siècle : "La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit."

Parce qu'elle a vraiment un petit côté Forrest Gump la Jeannette quand même. Même si dans son cas, il s'agit plus d'une tare liée à son éducation et à son milieu, qui ne l'a préparée à aucun des pièges de la vie : l'éternel piège de la séduction, l'illusion du mariage, la maternité, le rejet de l'Eglise... A ce titre, on retrouve dans ce premier roman de Maupassant des références à ses "maîtres" Flaubert et Schopenhauer : les illusions de Jeanne ressemblent assez à celles d'Emma, et sa vie ratée n'est pas sans rappeler celle de Félicité... Il ne manque que le perroquet, encore qu'il soit avantageusement remplacé par le bien nommé chien "Massacre". 

Qui aurait pu s'appeler Gâchis au vu de l'ampleur de celui-ci, même si le roman, et ce sera mon mot de la fin destiné à vous préserver l'envie de le lire, ménage un timide rayon d'espoir dans ses dernières lignes.

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Cette chronique a également été publiée sur Livres-coeurs, un site que j'avais un peu perdu de vue...