31 août 2006

Livres à lire

Vu à Carrefour : De sang froid/Truman Capote (on en aurait pas fait un film récemment ?) et le dernier Amélie Nothomb, dont j'ai déjà oublié le titre. La quatrième de couverture parle d'une histoire d'amour dont les chapitres ont été mélangés par un fou ; les pages feuilletés ont surtout l'air de parler de tueurs. Etrange, comme toujours avec Amélie.

Les brèves du mois d'août

Vous l'aurez sans doute remarqué si vous venez tous les jours, je teste une nouvelle idée depuis le 26 de ce mois : la brève du jour.


Quoi ? Vous ne passez pas me lire tous les jours ? Alors, au moins tous les deux jours ? Si, si, vous passez tous les deux jours. Ma naïveté l'espère, mon ego l'exige, les statistiques le prouvent.


Détails saisis au hasard, pensée du jour, anecdote, j'ai voulu vous faire partager toutes ces pensées inintéressantes et toutes ces petites choses du quotidien qui ne méritent pas nécessairement un long développement.

Trève de digression, voici donc les 6 brèves du mois d'août. Un petit billet pour finir le mois sur une petite séance de rattrapage ! Dois-je dire que j'ai eu cette idée en m'extasiant devant mon placard de cuisine superbement rangé ? Ne cherchez pas le rapport, vous n'y arriverez pas...

***

26-08 : Chose vue au supermarché
Une dame avec un gros pansement à l'index gauche. Nous engageons une brève conversation suite à un cri de douleur qu'elle laisse échapper après s'être cognée ledit doigt. Accident de tondeuse ? Non, accident du travail. J'ai tout su en 30 secondes.
Je l'ai vu à une caisse en sortant. Elle racontait son aventure à la caissière, qui affichait sa compassion avec force mimiques.
Elle a perdu un bout de doigt, mais gagné un sujet de conversation.


27-08 : Petite psychologie de bazar
Si la première impression que vous avez d'une personne est que celle-ci est bizarre, eh bien, elle l'est. Etonnant non ?

28-08 : Le calembour du café
  • Catherine : On a bien fait de passer par là pour remonter d'Espagne, parce que c'était rouge à Orange
  • Noël : C'était rouge à orange ? C'est un camaïeu alors ?
29-09 : Plagiat ou rapprochement intempestif ?
Un parti politique au nom en trois lettres, dirigé par un monsieur nommé Nicolas S. vient de mettre en place une plate-forme de blogs pour ses militants : Les blogs de la France d'après. Le jour d'après/La France d'après.
J'ai eu l'idée en premier, flûte.
Pas de lien, vous êtes assez grand pour trouver tous seuls, et je m'impose une réserve autant fonctionnariale que méprisante. Bandes de copiteurs, va.

30-08 : Calembours de bon goût
  • Hervé : Je suis sûr qu'ils vont nous mettre une burne au contrôle de légalité
  • Moi : C'est bien, en cherchant bien, on trouvera sûrement la deuxième
    Plus tard : le même, expliquant comment les bonzes prient et s'inclinent devant le Boudha
  • Moi : Il a pas intérêt à se casser la gueule le mec
  • Lui : Pourquoi ?
  • Moi : Parce que sinon on verrait crouler un bonze !
J'ai honte parfois...

31-08 : Livres à lire

Vu à Carrefour : De sang froid/Truman Capote (on en aurait pas fait un film récemment ?) et le dernier Amélie Nothomb, dont j'ai déjà oublié le titre. La quatrième de couverture parle d'une histoire d'amour dont les chapitres ont été mélangés par un fou ; les pages feuilletés ont surtout l'air de parler de tueurs. Etrange, comme toujours avec Amélie.

28 août 2006

Chroniques des invasions pacifiques et des cailloux dans les choses sûres


J'avais remarqué la chose à Lyon, lors d'un bref passage en mai : à deux reprises, j'avais été intrigué par des petites mosaïques bicolores, placées assez haut sur des façades d'immeubles et représentant ce qui me semblait être de ces aliens stylisés qui firent les belles heures des premiers jeux vidéos et autres bornes d'arcade.

Ma guide n'ayant pas trouvé la chose particulièrement remarquable, j'oubliais assez vite ce détail, et omis même de le prendre en photo (venant de moi, grand spécialiste de la photo de futilités, c'est un oubli assez rare pour être signalé)

Quelle erreur ! Quelques semaines plus tard, un concours de circonstances me fait repenser à ces étranges bestioles ; j'entreprend aussitôt une recherche sur internet et je découvre qu'il s'agit de rien de moins qu'une invasion.

Planifiée, organisée, méthodique. Inéluctable.

Mondiale.

Car Lyon n'est qu'une ville parmi d'autres, les aliens -car le doute n'est désormais plus permi- ont déjà colonisé Paris, Montpellier, Avignon et Grenoble, mais aussi Genève, Rotterdam, New York, Tokyo ! Même Clermont-Ferrand. C'est dire la virulence du phénomène. Aucun continent n'est épargné. Sommes nous menacés ? Nullement. Sauf à considérer toute remise en cause des petites habitudes et de l'ordre établi comme une menace.


Car ces aliens, ces space invaders, sont bien innoffensifs, pour autant que l'on puisse considérer comme inoffensive l'intrusion de l'art dans la vie quotidienne. Car il s'agit bien d'une oeuvre d'art à grande échelle. Ludique et épidémique. L'artiste l'explique lui-même : "Un Space Invader que l’on croise n’est pas une simple mosaïque placée là mais l’élément d’un réseau."

L'invasion s'est faite en plusieurs étapes avec quelques années d'intervalle : Le premier space invader a été posé au début des années 90 dans une ruelle parisienne. Pour reprendre les mots de l'artiste, il s’agissait d’un «éclaireur», d’une «sentinelle», car il est resté seul quelques années. Ce n'est qu'en 1998 que Space Invader a «actionné le programme», a réellement commencé «l'Invasion», la «prolifération».
Aucune de ses mosaïques n’est posée au hasard, les lieux sont choisis selon divers critères qui peuvent être esthétiques, stratégiques ou conceptuels. Par exemple la fréquentation : l’artiste avoue avoir un penchant pour les sites où les gens affluent, mais aussi pour les recoins les plus cachés. Puis la cartographie : à Montpellier les envahisseurs sont placés de manière à faire apparaitre en vue aérienne un grand space invader lorsqu’on les relie entre eux.
(Wikipédia , article Invader)

Dès lors, je savais que je tenais là un beau sujet d'article, et que je me devais de vous en faire profiter tôt ou tard. Alors, merci qui ? Car les buts d'Invader sont grands et magnifiques. Il ne vise à rien de moins qu'à introduire l'inattendu dans le quotidien, l'art dans la ville, le ludique dans un environnement trop fonctionnel.

Afin de garder une trace de ces oeuvres au destin éphémère (éphémère par nature car la forme d'une ville change plus vite hélas ! que le coeur d'un mortel), il les photographie et les cartographie. L'oeuvre prend une nouvelle dimension dès lors que l'on a conscience de la prégnance des thèmes de la carte et du labyrinthe, véritable invitation à participer à son tour, ne serait-ce qu'en cherchant les "envahisseurs".


Les cartes me permettent de faire le lien entre un infiniment petit (le pixel, le Space Invader) et un infiniment grand (les villes, la planète). Elles représentent aussi une idée d’errance. J’utilise personnellement des cartes pour mieux quadriller les villes que j’envahis, c’est un aller-retour permanent du terrain à sa représentation.
Le reste de l'interview d'Invader est disponible ici. Certaines des questions sont stupides, mais les réponses de l'artiste éclairent bien sa démarche, notamment le lien avec le jeu vidéo qui a inspiré ses petits personnages, et son rapport avec les autres formes d'art urbain.
Après la lecture de cet article et toutes ces belles découvertes, votre vie sera bien plus palpitante. Vous traquerez le space invader dans tous les recoins de vos villes respectives, vous en ferez des photos, vous les montrerez à vos amis éberlués. Votre boulangère vous regardera avec circonspection. Vous pourrez faire des sites entièrement consacrés à ce phénomène. Je parlerai de vous sur mon blog. En un mot, ce sera la gloire.

En attendant que ce soit votre tour, voici deux photos-blogs, dont l'un exclusivement consacré à la traque de l'alien en mosaïque :
A mon grand regret, il n'y a pas de space invaders à Dijon. Je vais être obligé d'en fabriquer moi-même !

***

J'aime bien faire du rangement. A vrai dire le terme n'est pas vraiment approprié. J'aime beaucoup vider un placard, un tiroir, ou le répertoire D:\Mes documents\Divers de mon disque dur, tout poser sur le bureau, et tout réorganiser différement. Existe t-il des occupations plus saines et plus passionnantes ? Cela permet de passer agréablement son temps, parfois plusieurs heures, de faire le ménage dans les coins les plus reculés, et de se débarasser d'une foule de choses inutiles que l'on se surprend d'avoir gardé aussi longtemps.

L'actualité récente m'apprend que je ne suis pas le seul à souffrir de cette petite manie au demeurant bien innocente. Les savants les plus considérables et les plus respectables ont le même problème. Pensez donc. Ils ont pris toutes les planètes, ont tout vidé sur la table, et ont tout réorganisé différement.

Parce que la façon de ranger les planètes ne leur convenait plus. Depuis le temps qu'on en parle, et ça remonte à fort longtemps, (Vialatte aurait dit "l'astronomie date de la plus haute Antiquité", mais je ne voudrais pas paraphraser), ils viennent juste de s'apercevoir qu'il n'existait pas vraiment de critère pour distinguer les planètes et les gros cailloux.


Le critère est maintenant posé. Pluton n'est plus qu'un gros cailloux. C'est la fin d'une courte carrière entamée le 18 février 1930, avec sa découverte par Clyde Tombaugh. Mais telle est la décision de l'assemblée générale de l'Union astronomique internationale (UAI)
Pluton n'est pas suffisamment massif pour être capable de dominer son environnement et de dégager le voisinage autour de son orbite de tous les objets étrangers. C'est d'ailleurs la condition pour qu'un objet puisse être défini comme planète. Une autre est que l'effet de sa propre gravité lui confère une enveloppe sphérique, et que cet objet, pour qu'il soit considéré comme une planète, doit être en orbite autour d'une étoile, donc il doit tourner autour du Soleil.
Néanmoins, le doute subsiste, car Pluton "dispose d'un énorme fan club parmi les astronomes" (Le Monde du 24-08-2006) Ce qui prouve bien que l'on est jamais sûr de rien. Les spaces invaders viennent peut-être de Pluton. Tout est envisageable. Il ne s'agit peut-être que d'une basse vengeance face à l'invasion.

Les choses sûres ne sont plus ce qu'elles étaient.

C'est un détail qui a son importance.

Le calembour du café

  • Catherine : On a bien fait de passer par là pour remonter d'Espagne, parce que c'était rouge à Orange
  • Noël : C'était rouge à orange ? C'est un camaïeu alors ?

27 août 2006

Petite psychologie de bazar

Si la première impression que vous avez d'une personne est que celle-ci est bizarre, eh bien, elle l'est. Etonnant non ?

Chose vue au supermarché

Une dame avec un gros pansement à l'index gauche. Nous engageons une brève conversation suite à un cri de douleur qu'elle laisse échapper après s'être cognée ledit doigt. Accident de tondeuse ? Non, accident du travail. J'ai tout su en 30 secondes.
Je l'ai vu à une caisse en sortant. Elle racontait son aventure à la caissière, qui affichait sa compassion avec force mimiques.
Elle a perdu un bout de doigt, mais gagné un sujet de conversation.

23 août 2006

Chronique des choses les plus diverses et des annonces étranges

Gravement bronzés et les chaussures pleines de sable, les aoûtiens se décident à contre coeur à retourner travailler. Certains ont du sel dans les cheveux, des algues pour les plus téméraires, une minerve autour du cou pour les plus imprudents ; la plupart ont les valises encore pleines et la bourse vide. On commence à parler prime de rentrée et recherche d'appartement, cahier de texte et dossiers empilés. En un mot, on achète des cartables. Les fonctionnaires, à l'instar des écoliers, reprennent le travail sur un rythme lent, en s'efforçant de ne pas replonger trop rapidement dans la monotonie paperassière. J'en ai même vu qui traînaient les pieds. Les rues et les administrations se remplissent, les plages se vident. Les mouettes ont enfin la paix, les piétons, les cyclistes et les bénéficiaires des délires ubuesques des caisses d'allocations familliales recommencent à trembler.

Bref, les choses reprennent leur cours normal. Pour ne pas être en reste, Sammy s'est arraché quelques heures à l'attraction qu'exercent sur lui internet, les mauvais téléfilms et sa planche à repasser, pour aller traquer l'insolite au coin de la rue. S'est-il accru pendant l'été ? La chose est peu probable, mais sait-on jamais. Effectivement, aucun bouleversement notable ne m'attendait dans mon périple. Le bareuzai n'a pas bougé, la porte Guillaume se dresse toujours prétentieusement devant le square Darcy. Les fontaines de la place de la Libération éclaboussent les badauds. La plupart des immeubles sont à leur place, aucun n'a été bombardé. Je m'en estime très satisfait.

Mais mon propos n'est pas de lancer ou de rentrer dans un quelconque débat. Les faits évoqués sont abondemment commentés par les milieux autorisés à penser. Ce petit apparté est avant tout destiné à faire connaître, si besoin était, l'action d'Amnesty International. Car certaines choses ne sont pas des détails.

Refermons la parenthèse, et retrouvons-les, ces chers détails que nous avons le luxe de pouvoir chercher. Ils peuvent jalonner un parcours, comme autant d'étapes propices à photos parfaitement inutiles mais légérement décalées. Une fois de plus, tout dépend du regard que l'on pose sur la banalité quotidienne. Et ça me permet de vous tenir en haleine en attendant d'avoir quelque chose de plus intéressant à vous raconter. Reconnaissez que ce n'est pas rien.


Beaucoup d'affiches, de panneaux, d'avertissements pour cette cuvée. Car l'Homme aime s'adresser à son semblable. Touche pas ceci, touche pas cela. Déviation obligatoire. Ca c'est à moi. Te gare pas là. Regarde ailleurs. Danger de mort. Attention travaux. Autant de signes auxquels nous ne prêtons plus grande attention. Alors, si une de ces pancartes a le bon goût d'être un peu différente des autres, il ne faut pas s'étonner qu'elle attire mon regard.

Ca a été le cas pour ce portail rouge doté d'une pancarte adorablement malhabile, et ce fut également le cas pour cette autre porte grillagée, dont je ne suis pas certain de bien saisir le message sybillin qu'elle adresse au passant. J'ignorais que les gens fussent aussi avides de travaux, qu'ils en étaient à les réclamer à grands cris chez de paisibles vieilles personnes. Sans doute parce qu'une telle folie ne me viendrait jamais à l'idée.


Sans doute la pancarte est-elle destinée à quelque voisin en manque d'exercice. Nous ne saurons jamais le fin mot de l'histoire. Mais c'est bien mieux ainsi. Renoncer à comprendre, et accepter l'idée qu'un monsieur, sans doute tout aussi respectable que vous et moi, ait pris du temps pour écrire et afficher ce morceau de carton mystérieux, n'est ce pas véritablement accepter la poésie du détour de la rue ? Bon... je l'avoue, je pense moi aussi qu'il faut être un peu con pour mettre ça sur son portail. D'autant plus que le fer à cheval ne plaide pas en faveur du bon goût.

Des panneaux qui interdisent ou qui obligent, d'autres qui avertissent, et d'autres encore qui ne servent à rien ; des vacanciers déprimés de reprendre le boulot et des vieux ronchons ; des cyclistes frisonnant aux croisements. Rien que de l'ordinaire. Somme toute, il n'y a que sur ce blog qu'il y a des nouveautés pour la rentrée ! Le mérite en revient à Blogger qui s'est décidé, pour son 7ème anniversaire, à faire un peu évoluer sa plate-forme. Cette nouvelle version est peut-être bien un peu trop simplifiée à mon goût, mais apporte quelques fonctionnalités bien sympathiques. Merci pour le commentaire Eldau ! Il parait même, à en croire Zorgloob, que j'appartiens à une petite minorité de privilégiés : "Seule une poignée d'utilisateurs y ont accès, donc prenez votre mal en patience" Vous voyez que vous êtes des lecteurs comblés !

Vous laissant sur cette vision irréelle du tas de petits cailloux blancs abandonné par un Petit Poucet précautionneux -notez les barrières- je m'en vais dormir afin de mieux réfléchir à un prochain article des plus instructifs. Il sera question de petits carreaux de faïence, d'art urbain et d'invasion extraterrestre. Bref, des choses grandes et magnifiques.

Car chaque détail a son importance.

15 août 2006

Chronique des couvertures bleues

Couché sur le côté, un homme dort. Il tousse dans son sommeil, d'une toux sèche et pénible à entendre. Sans doute la mince couverture bleue dans laquelle il est enveloppé ne le protège t-elle pas suffisament. Couché sur le côté, il dort. La nuit est fraîche, peut-être un peu trop pour un 15 août, mais vraiment, pas de quoi attraper la mort, oh non. Il dort. La couverture est bleue, la nuit est fraîche. Le banc est vert.

Le banc est vert dans cette allée déserte, passage qui n'a d'autre fonction que relier un boulevard à une rue de moindre taille. Perdu dans une rêverie sans fin, attentif au seul plaisir de mettre un pied devant l'autre dans des rues désertes, je passais à côté de lui sans le voir quand sa toux m'a fait sursauter. Je regardais les immeubles, estimais à quelle distance un halogène aveuglant se déclenchait, et où il me faudrait passer la fois suivante pour l'éviter ; attentif au seul plaisir de mettre un pied devant l'autre, je marchais sans le voir.

Sans le voir.

Combien de fois par jour passe t-on ainsi, sans le voir ? Combien de fois fait-on semblant de ne pas le voir, parce que ça nous gêne ? Cette chronique n'est pas une chronique de la misère urbaine, ni une chronique de l'impuissance. Non, c'est juste la chronique d'un homme qui dort sur un banc. Et je me suis senti gêné, en trop, à le regarder dormir ainsi. J'ai eu l'impression de lui prendre, oh, bien malgré moi, le droit à dormir dans la tranquilité. Mais le possède t-il seulement encore ?

Combien est vulnérable un homme qui dort sur un banc... Peut-on mourir de froid dans la rue, un 15 août ? On peut aussi mourir de solitude. Et d'indifférence.

Quand, cette nuit ou une suivante, vous sortirez pour vos loisirs, vos amours, pour d'autres raisons qui vous appartiennent, ou tout simplement pour être attentif au seul plaisir de mettre un pied devant l'autre, pensez aux hommes qui dorment sur les bancs. Vulnérables. Invisibles. Dans une mince couverture bleue.

***

Si vous sortez, allez donc voir Pirates des Caraïbes II : le secret du coffre maudit. J'avais décidé de vous en parlez ce soir, mais l'homme à la couverture bleue s'est imposé à moi. Si ce n'est déjà fait, regardez le premier opus -vous pouvez, par exemple, le voler à un ami, c'est moins risqué que dans une grande surface- et courrez ventre à terre voir la suite. L'histoire ne vaut pas la peine d'être rapportée, mais le rire vaut la peine d'être partagé.

05 août 2006

Folie joyeuse, chronique des supermarchés épisode III

Cadillac, cadillac...

Ce qu'il y a de bien dans les supermarchés, c'est qu'il n'est pas forcément obligatoire d'être attentif aux détails pour surprendre l'insolite -les moineaux dans les poutrelles, au-dessus du rayon des féculents, la dame qui monte sur le bord du meuble réfrigéré pour aller chercher le paquet de gruyère râpé le plus haut perché (il est plus frais ?), la mamie qui fonce droit devant elle avec son chariot et qui vous reprocherait presque de vous être laissé rouler sur les pieds.

Parfois, l'inattendu me tombe dessus sans que j'aie à faire le moindre effort. Cette fois, il a pris l'apparence d'un vieil homme un peu frappé, qui me mit en joie pour l'après-midi. Je l'avais bien remarqué, malgré tout, apostrophant les clients, parlant fort et tenant des propos qui me semblaient, même à distance, assez décousus, et pour tout dire incohérents. J'avais même fait un tour supplémentaire dans l'allée, pour tâcher d'écouter ce que l'énergumène racontait à un boucher imperturbable.

Mais je ne m'attendais pas à le voir arriver derrière moi à la caisse... Alors que la dame devant partait, il se lance. Mais à qui parle t-il au juste ? J'échange un regard inquiet avec la -jolie- caissière. Tout ce que j'ai retenu, c'est la phrase "Cadillac, cadillac, l'affaire est dans le sac", qui est revenue à plusieurs reprises. A vrai dire, il a commencé avec ça, et m'a demandé si je comprenais... je lui confesse mon inculture abyssale, et lui assure que je serais heureux de pouvoir replacer ses explications... Sourire complice avec la caissière.

Sa logorrhée terminée, il me demande si j'ai bien compris. Je m'empresse de lui assurer que oui, mais j'ajoute perfidement que j'aurais du mal à replacer son histoire, car je n'ai pas d'amis assez intelligents pour comprendre ça ! Et lui de répondre, le plus sérieusement du monde "vous êtes entourés par des cons !"

Sabrina -c'est du moins le nom porté sur le badge- se mord les lèvres pour ne pas éclater de rire...

...l'affaire est dans le sac !

***

Chroniques des supermarchés :

01 août 2006

Histoire avec des si...


Rien n'est jamais écrit à l'avance. Avec le recul, il est aisé de se figurer que les événements s'enchaînent avec cette logique infaillible, mécanique et pour ainsi dire automatique du bel ordonnancement des livres d'Histoire. Une succession de détails en apparence anodins, ne prendra sa véritable importance qu'avec le recul qu'apportent les années. (Cf ce propos rapporté par Victor Hugo dans Choses vues "du reste, tout cela n'est pas de l'Histoire")

Il suffit de peu de choses pour que tout bascule. Que se serait-il passé si l'aviateur Charles Lindbergh avait été élu contre Roosevelt en 1940 ? Partisan de la non-intervention américaine dans le conflit européen, antisémite notoire, admirateur d'Hitler et raciste accompli, qualifié par certains de "compagnon de route" des nazis aux USA, de quelle façon l'Histoire telle que nous la connaissons aurait-elle été changée ?

A travers de vrais-faux souvenirs d'enfance -son regard d'enfant de 7 à 9 ans- Philip Roth prend l'Histoire comme un matériau et propose une version parmi d'autres de ce qui aurait pu se passer. Toutefois, le complot contre l'Amérique est plus qu'un simple roman historique ou une nouvelle variation sur le thème de l'antisémitisme. C'est un roman de la peur, la peur insidieuse de ceux qui se sentent menacés dans leurs propre pays, à cause de ce qu'ils sont. Ce qu'ils sont ? D'abord des citoyens américains, des juifs ensuite. Autant dire que pour eux, tout était clair, ou du moins le croyaient-ils : il était aussi simple d'être juif en Amérique qu'auvergnat à Paris. L'intégration parfaite donc.
Leur judaïté ne venait pas d'en haut. Certes, le vendredi soir, au coucher du soleil, quand ma mère allumait les chandelles du shabbat [...] elle invoquait le Tout-Puissant par son nom hébreu, mais le reste du temps, personne ne parlait jamais d'« Adonaï ». Ces juifs-là n'avaient pas besoin de grands termes de référence, ni de profession de foi ni de credo doctrinaire pour se savoir juifs ; et ils n'avaient assurément pas besoin d'une langue à part [...] Leur judaïté n'était pas une infortune ou une misère dont ils s'affligeaient, et pas davantage une prouesse dont ils tiraient fierté. Leur être leur collait à la peau sans qu'il leur vienne à l'idée de s'en débarasser. Leur judaïté était tissée dans leur fibre, comme leur américanité.
Mais petit à petit la peur gagne les esprits, les clans se constituent, les familles se déchirent. Peut-on continuer à vivre comme avant ? Faut-il fuir au Canada ? Lindbergh veut-il seulement maintenir l'Amérique hors de la guerre, ou bien sa politique est-elle conduite par ses sympathies nazies ? Les motifs d'inquiétude se succèdent. Sitôt élu, le président Lindbergh signe un pacte de non-agression avec l'Allemagne ; plus tard, c'est Von Ribbentrop lui-même qui sera reçu avec tous les honneurs à la Maison Blanche. La communauté s'interroge : à quand les premiers camps ?

La tension monte progressivement, l'ambiguïté prédomine ; les résidents juifs de Newark sont-ils paranoïaques, ou une « 5 ème colonne » est-elle vraiment à l'oeuvre ? Les impressions, d'abord floues et incertaines (Cf. la visite de la famille Roth à Washington, leur frayeur lorsqu'ils sont escortés par un motard de la police) sont de plus en plus nettes, et l'atmosphère devient de plus en plus inquiétante. Les premières mesures franchement discriminatoires sont prises sous couvert d'intégration. On crée un "bureau de l'assimilation", puis le programme "Des gens parmi d'autres" visant à "cultiver l'américanité" : les petits juifs sont envoyés à la campagne découvrir les vraies valeurs de l'Amérique. De fait, c'est une véritable entreprise d'acculturation, de déjudaïsation qui se met en place. Ce sont ensuite leur parents qui sont obligeamment invités à émigrer dans ces régions désertiques, avec une nouvelle loi de peuplement singeant celle des colons fondateurs des débuts du pays. L'objectif réel est clair : disséminer les communautés juives et leur pouvoir électoral, dans un premier temps... mais après ?
Je refuse de m'enfuir ! Cria t-il soudain, faisant sursauter tout le monde. Nous sommes chez nous, ici
Non, dit ma mère tristement. Plus maintenant. Nous sommes chez Lindbergh, chez les goyim, nous sommes chez eux.
La question du rôle d'une communauté est ainsi posée. Où se trouve la frontière entre communauté et ghetto ? Qui crée le ghetto ? Ceux qui y vivent, ou ceux de "dehors" ? C'est un des thèmes secondaires du roman, à savoir la place d'une communauté dans une nation, et la question de l'appartenance relative à l'un ou l'autre de ces ensembles. L'avis de l'auteur, on l'a vu, est sans équivoque : être juif n'est pas une fin en soi et il ne le revendique pas, pas plus que ses personnages.

A un passage clé du début du roman, le père du narrateur est traité de "grande gueule de juif" ; à la fin de celui-ci, la mère de son camarade est brûlée dans sa voiture par des émeutiers, dans un sud américain qui semble devenir la proie d'un vaste pogrom. Un journaliste juif impertinent et provocateur, trublion dans la course à l'investiture présidentielle et grand dénonciateur des "fascistes de Lindbergh" et de ses "croix gommeux" de la Maison Blanche, est assassiné. C'est le signal des émeutes anti-juives, et le paroxysme de la peur.

Et c'est à ce moment précis que le président Lindbergh disparait. Une vraie disparition d'aviateur, en plein ciel, qui ouvrira la voie à toutes les spéculations. Tout s'accélère, l'état d'urgence est décrété, la garde nationale et l'armée patrouillent dans des rues désertées par le couvre-feu. Le vice-président fait du zèle ; les opposants les plus virulents et les plus emblématiques sont arrêtés, accusés d'avoir mis en oeuvre un complot visant à la disparition du président. Roosevelt lui-même est mis "sous la protection de la police". Les radios sont occupées, les journaux fermés.

Le titre prend alors tout son relief : de quel complot parle t-on ? D'un complot juif, thème cher aux antisémites de toutes les époques ? D'un complot nazi, dont Lindbergh serait le chef, ou tout simplement l'homme de paille ? Ou alors d'un coup d'Etat en bonne et due forme, qui a attendu son heure pendant plus de deux ans ?

Par la voix de différents personnages, l'auteur propose deux explications aux événements, aussi imaginaires que réalistes, qu'il relate : une conspirationniste et paranoïaque, et une autre beaucoup plus terre à terre. En outre, les références historiques et les biographies des protagonistes sont donnés en fin d'ouvrage. Au lecteur de se faire sa propre opinion.

C'est Pierre Assouline qui m'a donné envie de lire ce livre, avec ce commentaire dans La république des livres Si, comme moi, vous n'êtes pas capable de résister à la tentation d'acheter un livre après en avoir lu la critique, n'allez pas sur ce blog...

***

A lire :
  • Le complot contre l'Amérique/Philip Roth, Gallimard – 22€
  • Choses vues/Victor Hugo, coll. Bouquins, Robert Laffont

Ecrit le 30 juillet 2006