Eh vous là bas, la cornette blanche, disait-elle en élevant à peine la voix. Je cesse d'hésiter entre le pain de campagne à l'ancienne et la baguette moulée ; à côté de moi se dresse un spécimen d'humaine d'une soixantaine d'années, haute comme trois pommes, visiblement courroucée et l'air un peu hagarde.
Oui, vous, là-bas, la cornette blanche, je vous vois ! poursuit-elle en désignant du menton les employés de la grande surface affectés au rayon boulangerie, qui semblent ne même pas entendre ses étranges imprécations. Regardant alentour, elle me prend à témoin : ils me regardent parce que je choisis ce que je veux acheter ! Vous choisissez bien ce que vous achetez vous, n'est ce pas ? Soudainement pris d'un grand intérêt pour les pains au chocolat, je lui répond d'un hum, oui, oui, pas trop fort, tant est grande ma crainte d'être associé à son délire.
Visiblement, cette femme est un peu dérangée me dis-je, moitié amusé, moitié intrigué par son obsession, et surtout par le qualificatif de cornettes blanches par lequel elle désigne les charlottes des boulangers. Sans doute a t-elle été traumatisée par des religieuses dans son enfance ? Peut-être a t-elle été privée de pain. Peut-être n'en a t-elle pas mangé tous les jours. J'imagine déjà toute une histoire autour de ce minuscule incident.
Mais déjà, après avoir lancé quelques nouveaux reproches outrés en direction de ses prétendus tourmenteurs, toujours de cette voix fluette qui ne sera perçue que par les clients et les "cornettes blanches" les plus proches, elle s'éloigne à petits pas, frêle silhouette bientôt oubliée.
En fait, elle voulait simplement acheter des "religieuses" mais sa langue a fourché, le diable se logeant parfois dans la bouche !
RépondreSupprimerChronique d'un jour ordinaire autour de la baguette - aliment présumé au coeur d'une blessure profonde ...
RépondreSupprimerJ'aime cette écriture... je continue...
Ton texte me rappelle une femme, qui dans le magasin où je faisais mes courses, parcourait les rayons en chantant, très fort, "Etoile des neiges". Tout le monde la regardait, elle n'avait pas de caddie, ni de panier, elle tournait simplement dans les rayons en chantant.
RépondreSupprimerOn ne sait jamais trop comment réagir face aux gens qui paraissent un peu comme ça... dans leur délire...
RépondreSupprimerJe continue de rattraper mon retard dans les commentaires...
RépondreSupprimerTilu, Orion, on a tous déjà vu des gens un peu loufoque en allant faire nos courses... et tant qu'on les regarde de loin, on est juste amusé ; quand ils nous prennent à partie, ça devient nettement moins drôle, mais beaucoup plus intéressant ! Je vais finir pas croire que je les attire tout spécialement (je devrais peut-être faire un rappel des épisodes précédents ?!)
Kris : merci ! C'est justement cette blessure cachée qui m'a poussé à réfléchir.
Dominique : le diable se loge dans la bouche de beaucoup de personnes je crois... Mais penses-tu que les religieuses se laissent acheter aussi facilement ?
J'aime beaucoup... J'aimerais bien que tu nous racontes toute l'histoire que tu as commencé à imaginer...
RépondreSupprimerUne fois, j'étais au super marché, je choisissais un melon et un petit garçon m'a enserrais pour me faire un câlin... Tu imagines ma surprise... Son père est venu le chercher. Il se confondait en excuses, rouge comme un cardinal : je lui ai souris et je lui ai dit : vous savez, j'ai connu de pires agressions !
Merci pour ton billet qui m'a offert deux plaisirs : celui de le lire et celui de me rappeler ce souvenir...
Une autre fois peut-être ? Je n'ai pas toujours beaucoup de suite dans l'imagination... :-)
RépondreSupprimerElle est mignonne ton histoire ; je note au passage que tu aimes beaucoup les cardinaux ! (cela fait deux fois que tu utilises cette expression ; enfin, pas tout à fait, la dernière fois c'était un troupeau de cardinaux, ce qui est bien plus impressionnant, j'en conviens)