J'aime beaucoup Daniel Pennac. Je me souviens l'avoir découvert il y a quelques étés de cela, en lisant l'intégralité de la saga de Monsieur Malaussène, son personnage fétiche. J'aime son style léger, sa façon de laisser croire que c'est facile d'écrire, que les mots lui viennent tout seuls, qu'il se contente de raconter ce qu'il a dans la tête et que ça fait de belles histoires. Mais voilà, ses belles histoires sont bien construites et bien écrites.
J'aime aussi sa façon de partager ses bonheurs de lecteur, que ce soit dans la série des aventures de Monsieur Malaussène, où il trouve le temps de lui faire croiser, citer ou lire, pour lui-même ou pour sa fratrie, les ouvrages de Jean Potocki, Léon Tolstoï ou Louise Labé, ou dans un autre livre spécifiquement consacré à la lecture, son art délicat, son apprentissage difficile et sa transmission sacerdotale : Comme un roman.
D'une manière générale, Pennac fait partie de ces auteurs qui me donnent envie de lire - et pas forcément ses propres livres, ce qui prouve qu'il est est un bon passeur de livres, pour reprendre le titre d'un opuscule où il opposait les "gardiens" (du temple) aux "passeurs" (de la culture).
Aux passeurs, je dois tout, non seulement mon travail d'écrivain qui est allé de bouche en oreille mais aussi mes bonheurs de lecture.Je ne vais aujourd'hui ni résumer la série des Malaussène(1) ni relayer son playdoyer pour les droits du lecteur(2), mais parler de mes retrouvailles avec lui à travers Le dictateur et le hamac.
Car relire Pennac après une longue abstinence, c'est comme retrouver un ami dont on n'avait plus de nouvelles depuis longtemps, et que l'on croise par hasard, au coin d'une rue, dans une ville inconnue. On reprend la conversation où on l'avait laissée, on se donne des nouvelles de la famille, des connaissances communes, et on finit inévitablement par retomber sur des sujets de prédilections que nous avons en partage.
Pour Pennac, ce sont les livres, qu'il parvient à citer dans une histoire dont ce n'était à première vue pas le sujet. On retrouve également Belleville comme un lointain écho, et Paris, et le Vercors, et la maison avec les roses trémières, mais il faut avoir lu les romans de Pennac pour saisir le discret souvenir. Et la rêverie autour de ces activités complémentaires que sont la lecture et l'écriture. Et toujours cette petite musique de la voix de Pennac, souriant entre les phrases à son anonyme complice le lecteur.
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Le dictateur et le hamac, "ce serait l'histoire d'un dictateur agoraphobe qui se ferait remplacer par un sosie", et de tout ce qui s'ensuit. La lassitude du sosie, ses rêves de gloire hollywoodienne, sa déchéance alcoolisée. Histoire expédiée en six ou sept chapitres, ce qui laisse du temps pour parler d'autre chose. Du cinéma par exemple. De la magie des images qui prennent vie sur une toile blanche, de l'incomparable génie de Charlie Chaplin, de la gloire oubliée de Rudolph Valentino.
Pourquoi Valentino ? Parce que le sosie du dictateur ressemble à Valentino et admire infiniment Chaplin, ce qui donne lieu à un jeu de miroir où tout le monde se ressemble "à epsilon près" car finalement, "la ressemblance, c'est une question de foi". D'ailleurs, il n'a pas de nom le sosie, toute sa vie il ne sera que le sosie, tantôt celui d'un dictateur panaméricain, tantôt celui de Chaplin, tantôt celui de Valentino, et connaîtra un semblant de gloire éphémère en jouant les doublures lumières avant de mourrir solitaire, réduit à l'ombre de lui-même.
On parle aussi du Brésil, cadre du récit de départ du dictateur et de son sosie, terre des paysans qui n'en ont pas, "démons de l'intérieur" qui terrorisent les nantis de la côte. On fait l'aller-retour entre ce Brésil et celui visité par le narrateur il y a une vingtaine d'années, où les grands propriétaires affament les paysans sans terre. Mais démocratiquement.
Le narrateur s'appelle Daniel Pennac, histoire de créer un miroir de plus, une illusion supplémentaire. Il rêve cette histoire dans son hamac, au Brésil, hamac qui permet de rêver à tant de grandes choses tout en empêchant de les réaliser... Il rencontre un des personnages de son livre, l'ouvreuse du cinéma où meurt le sosie ; elle corrige les erreurs du romancier, calme les ardeurs de son imagination et de son idéalisme, et permet à Pennac, qui s'amuse comme un petit fou, de laisser apparaitre certaines des ficelles de la fiction romanesque. Parce qu'un roman, c'est comme un hamac : il faut qu'il soit bien accroché pour que l'on puisse rêver dedans sans soucis.
***
(1) Juste le titre du premier : Au bonheur des ogres. A lire d'urgence si ce n'est pas déjà fait.
(2) Bon, d'accord, mais c'est bien parce que vous insistez :
LES DROITS IMPRESCRIPTIBLES DU LECTEUR
1. Le droit de ne pas lire
2. Le droit de sauter des pages
3. Le droit de ne pas finir un livre
4. Le droit de relire
5. Le droit de lire n'importe quoi
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible)
7. Le droit de lire n'importe où
8. Le droit de grappiller
9. Le droit de lire à haute voix
10. Le droit de nous taire
1. Le droit de ne pas lire
2. Le droit de sauter des pages
3. Le droit de ne pas finir un livre
4. Le droit de relire
5. Le droit de lire n'importe quoi
6. Le droit au bovarysme (maladie textuellement transmissible)
7. Le droit de lire n'importe où
8. Le droit de grappiller
9. Le droit de lire à haute voix
10. Le droit de nous taire
(3) La photo de Pennac vient du bien nommé site Comme un roman ; j'ai fait exprès de mettre celle avec la pipe, c'est pour venger Tati.
Je dois à Pennac ma passion pour Bartleby le scribe de Melville.
RépondreSupprimerOui, c'est un personnage et une œuvre qui reviennent souvent... Il faudra que je le lise un jour :-)
RépondreSupprimerIl faut croire que ça l'a vraiment marqué, puisqu'il en donne actuellement une lecture publique
http://www.france24.com/fr/20090430-soufisme-pennac-daniel-festival-bartleby
(Bartleby, l'incontournable, by the way...)
RépondreSupprimerLa lecture en hamac vaut la course sur le tarmac, sauf si le pilote s'appelle Pennac.
Merci également pour la photo avec pipe : Métrobus a montré jusqu'à quelle profondeur pouvait s'enfoncer la crétinerie (et aussi émerger à l'air libre).
A quand une grande exposition sur le ridicule ? Pennac pourrait l'organiser de main de maître, lui qui sait observer avec une telle acuité.
Ah Pennac, AAAHHH Pennac. (Je me suis toujours dit que "comme un roman" devrait être le livre de chevet des prof de littérature...).
RépondreSupprimerBon, c'est décidé, je vais lire Bartleby. Reste à savoir quand. Et puis je n'ai pas de hamac, ce qui ne va pas me simplifier la tâche.
RépondreSupprimer[i]Comme un roman[/i] devrait être distribué dans les IUFM... ;-)