18 avril 2011

Laïcité : ils avaient cru s'y fier

Ce matin, j'avais envie d'écrire moult choses grandes et magnifiques. En fait, non. Ce matin, comme tous les  matins, j'espérais avoir le temps d'écrire lesdites grandes et magnifiques choses. Ce matin j'avais envie d'écrire sur ces quelques avignonnais excités du crucifix. J'avais déjà été interpellé par le sujet la semaine dernière : des fidèles, archevêque compris, s'indignaient de ce que le musée d'art contemporain local donnait à voir, à l'occasion d'une exposition intitulée "Je crois aux miracles" une photo d'un crucifix plongé dans l'urine. Ah la vilaine chose.

Passant de la parole divine aux actes des apôtres, ils sont partis en croisade contre l'image impie, bien décidés à chasser de leur ville le blasphème comme Jésus du temple les marchands : à grand coup de trique dans la tronche, parce que... parce qu'ils ne voyaient décidément pas d'autres solutions. Le jour du Seigneur, ils ont donc dispensé son message d'amour et de tolérance à grands coups de marteau et de pioche, histoire que ça rentre mieux.

Immersion (Piss Christ) de Andres Serrano

Quand j'ai vu cette image, j'ai pensé à Prévert répondant à une provocation de ses potes surréalistes qui avaient accroché un crucifix à la chasse d'eau, qu'il ne fallait pas "salir la merde"... Autant dire que le blasphème pipi-caca-crucifix ne date pas d'hier, et ne doit pas être réduit à un premier degré simpliste, ce qu'a parfaitement compris un chroniqueur d'une revue que l'on peut difficilement qualifier d'antichristianisme primaire, puisqu'il s'agit de Témoignage chrétien.

Pour l'auteur (pour qui les saccageurs d'Avignon sont de "pontifiants zouaves" et des "canailles"), l'image, volontairement infamante, rappelle les outrages subis par le Christ :
De la Croix du Sauveur, on fait trop facilement un pendentif, un motif décoratif, un signe sans signification. Et voilà que par le geste brutal d’Andres Serrano elle est rendue à sa brutalité : la Croix redevenue un scandale – du grec skandalon, l’obstacle.  


Au Musée des Beaux-arts d’Avignon, on s’y arrête. Elle a perdu ses contours vaporeux de symbole pour redevenir le gibet infamant sur lequel a été cloué Jésus, mort entre deux bandits sous les moqueries pour avoir prêché le pardon des offenses, la pitié des vaincus et la délicatesse envers les opprimés.
Voilà un chrétien qui ne s'est pas arrêté au prétendu blasphème, et qui a cherché ce qu'une telle image pouvait bien vouloir dire, avant de cogner comme un sourd en pleine crise de foi. Que savent les petits fracasseurs à la tête de bois des convictions ou de la foi de l'auteur du cliché ? Et si le message qu'il voulait faire passer était bien celui mis en avant par le chroniqueur ?

Piss Christ vandalisé

Non seulement, dixit le directeur du musée, "l'ignorance de ces gens est hallucinante" (ils ont détruit au passage une photo de mains de religieuse qui n'avait a priori rien de blasphématoire), mais ils appartiennent à une mouvance dont le but est "la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ", ce qui est un programme à faire frémir le Vatican.
Alors ?

Faut-il brûler Prévert ? Faut-il brûler Breton et consorts ? Faut-il brûler les artistes ? Faut-il déclarer Témoignage chrétien frappé d'hérésie ?

Ne faut-il pas plutôt se poser des questions sur le sens profond de cet événement ? Qu'avons-nous fait pour en arriver là ? Quelles coupables négligences, quelles passivités a t-il fallu pour permettre cela ? De quoi la destruction du Piss Christ est-elle le nom ?

Quel est ce pays où quelques excités peuvent détruire une œuvre d'art au prétexte que eux ils pensent que "ce n'est pas de l'art" et qu'ils se sentent atteints dans leurs convictions profondes ? Pierre Haski, dans son article sur Rue89, veut voir dans cette affaire une lointaine résurgence du funeste débat sur la laïcité ; il n'a pas tort, car nous avons affaire ici à des groupuscules se sentant autorisés à agir car confortés dans leurs opinions.

Il y a longtemps que j'ai perdu la foi, c'est une vieille histoire entre un Dieu qui n'existe pas et ma conscience.
Je viens de rompre avec Dieu. Je ne l'aime plus.
En amour, on est toujours deux. Un qui s'emmerde et un qui est malheureux.
Depuis quelque temps, Dieu me semblait malheureux. Alors, j'ai rompu.(1)
Mais je ne sache pas que j'aille imposer mon athéisme aux croyants.


PIERRE DESPROGES LETTRE OUVERTE à MONSEIGNEUR... par kirivalse


(1) Pierre Desproges : Rupture - Chroniques de la haine ordinaire 
 

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