21 mars 2008

Chronique des plaisirs régressifs

Ca commence toujours comme ça : on ouvre la porte du réfrigérateur, d'un geste souple et décidé, ni trop brutal ni trop mou, afin de lui imprimer juste la force nécessaire pour ne pas faire s'entrechoquer les bouteilles de lait, jus de fruit ou vin, et autres récipients de verre bringuebalant à la moindre secousse. On peut alors se saisir de la plaquette de six petits pots, apprécier, d'une légère pression du bout des doigts, le contact de leurs parois rainurées alliant la dureté de l'emballage au moelleux du contenant puis, d'un geste vif et précis, en soustraire deux dans un claquement sec de plastique qui casse.

On ôte alors l'opercule (du premier coup bien sûr), puis on fait tomber le fromage dans une soucoupe - de préférence en duralex, celle avec le numéro de moule au fond- en pressant légèrement le pot, qu'il est possible de tenir par ses coins pointus. Puis vient le moment le plus délicat, le déroulage du papier collant. Car dans les petits suisses, tout le monde le sait, le nom du produit n'est pas indiqué sur l'emballage, mais sur un papier tout fin, enroulé autour du contenu lui-même, et que l'humidité a fragilisé. C'est ce qui fait la beauté de la chose, car il ne faut ni déchirer le papier, ni écraser prématurément la forme encore cylindrique qu'il recouvre.

Mais les vrais amateurs contournent cette difficulté en un tournemain, pour passer, après avoir plié le papier sur lui-même et l'avoir introduit dans le pot en compagnie de l'opercule (le tout sans s'en mettre plein les doigts, ce qui exige malgré tout une certaine pratique), à l'étape suivante, celle du sucrage. Encore tais-je l'ajout du deuxième pot, rendu moins aisé par la présence du premier dans la soucoupe. Mais il ne me parait pas indispensable de m'attarder sur cette péripétie, alors que je n'ai toujours pas décrit le petit monticule pyramidal que le sucre doit former en recouvrant les petits suisses. Tout au plus peut-on encore voir émerger l'endroit où le fond du pot a imprimé son quadrillage sur la pâte molle.

Le malaxage à la petite cuillère, accompagné du bruit du sucre qui crisse contre le bol, annonce la fin du cérémonial. En quelques bouchées tout sera avalé, l'écuelle nettoyée, au besoin léchée, et ne subsistera sur la langue qu'un arrière goût étrange, mélange doux-amer de sucre et d'enfance enfuie. On peut alors poser sur le monde, la vie et toute ces sortes de choses un regard repu, empreint de bienveillance et de sérénité. Car tel est le plaisir régressif du petit suisse.


12 commentaires:

  1. C'est très joli Sammy!... ah! le petit suisse... ça fait longtemps que j'en ai oublié le gout, mais la lecture de ton billet réveille mes souvenirs....

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  2. Je cours dans mon hyper en acheter une barquette...

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  3. Un plaisir miniscule dont tu sais si bien nous délecter !

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  4. Mon dieu ! Mais ça doit faire au moins 40 ans que je n'ai plus mangé de petit suisse!! Il me vient comme un goût de madeleine de Proust là !!
    Et... Sammy, tu les mets dans la soucoupe...et le sucre crisse contre le bol :-D Mais j'adore ce billet !

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  5. C'est très tout à fait parfaitement ça à l'exactitude près.
    Et je me souviens d'avoir eu un chat, un peu ronchon, qui rappliquait au milieu de ce cérémonial, parce qu'une fois je lui avais laissé lécher le fond du bol. C'était de venu quasiment sa cocaïne.
    Moi, je suis dépendante. Houlala. On va monter une PSAA ? (Petit-Suisse-Aficionado-Anonyme)
    Kiki :-)

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  6. Dis, Monsieur Sammy, je t'ai déjà dit que j'adore comme tu écris ? Je suis une aficionada, dis donc.
    Kiki2

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  7. Demain tu nous apprends à démouler un Flanby ? On t'a pas dit que le numéro sous l'assiette Duralex c'est ton âge ?

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  8. c'est vrai Sammy, tu décris tout cela super bien...de manière presque érotique (oups!

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  9. C'est marrant, le début me fait penser à une version ultra soft à la sauce intro de Trainspotting ; mauruuru merci Sammy ;o)

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  10. Kiki et Fred, votre allant quasi simultané pour trouver un côté toxicologique au petit suisse est du domaine du stupéfiant, si vous me permettez ce jeu de mot (vous me le permettez hein ?)

    Bref, à quand le film Trains-petits-pots-ting ? :-D A quand le sketch "Allo tonton, pourquoi tu finis pas ton petit suisse" ? Amis créateur, scénaristes, réalisateurs, à vos plumes ! ...je fournis l'approvisionnement en petits suisses !

    Par contre Coumarine, je dois avouer que la dimension érotique du petit suisse m'avait échappé... Vu sous cet angle, voilà un dessert à ne pas laisser aux enfants... 'tention avec les coins du petit pot quand même, c'est pointu, ça pqiue, houla...

    Tilu et Orion, Maurice aussi dans ton genre, vous voyez davantage le côté souvenir d'enfance. Ouf. Je dois dire que ça me rassure. Je ne saurais trop vous conseiller d'adopter la saine attitude de Sarpedon : courrez en acheter ! Contrairement à certains biscuits au beurre recouvert d'une fine plaque de chocolat, ce n'est pas que pour les enfants... ;-)

    Maurice, j'y pensais au Flanby justement. Je projette d'ailleurs une série de billets traitant des yahourts, flanby, mamie Navo et toutes ces sortes de choses. (Je suis sponsorisé par Donane, chut)

    Delphine, merci pour avoir vu la référence à ce livre, que je n'ai pas lu d'ailleurs ! ;-)

    Anonyme... Tu repasses quand tu veux :-)

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  11. J'adore autant ta description que les petits suisses eux-mêmes. L'histoire brève, mais intense, du dessert est si bien romancée. Ça fait vraiment ressurgir plein d'agréables souvenirs. Merci

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  12. Merci à toi pour ce gentil mot, Pierre :-)

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