Paroles plurielles poursuit sa route de mots avec une consigne n°66 où il fallait illustrer cette photo de NarB en s'inspirant de l'incipit suivant : "C'est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué"... Le titre est un emprunt à Edgar Poe, bien sûr.
C'est étrange, depuis que je ne travaille plus, je me sens de plus en plus fatigué. Quitter mon lit est chaque matin plus difficile que la veille. Le moindre effort me coûte, et sortir de chez moi m'est de plus en plus odieux. Mes journées s'écoulent lentement, toutes semblables, comme tissées d'une même étoffe grise, sale et usée. Rien ne parvient plus à m'intéresser, les jours glissent l'un après l'autre, les saisons se suivent, et ma vie est comme un long tunnel sans lumière. Lors de mon pot de départ, entre deux claques dans le dos, ils m'avaient pourtant assuré de ma chance : "Quel veinard ce René ! La retraite a 60 ans, tu seras dans les derniers a en profiter !" A quoi bon ? Je n'ai pas de femme, pas d'enfants, pas vraiment d'amis ; pas de passions, aucun vice à assouvir. J'ai passé ma vie à thésauriser sans le moindre but. Mon travail, pour peu passionnant qu'il fut, donnait au moins un sens à mon existence. Maintenant je ne sers plus à rien. Je ne prend même plus la peine de faire semblant d'exister.
Aujourd'hui, je ne saurais pas dire pourquoi, je suis descendu dans la station de métro, celle qui est en face de chez moi. Je ne pense pas que ce soit par nostalgie du temps, qui me semble déjà si lointain, où je prenais place moi aussi sur un strapontin crasseux ou bien restait debout, agrippé à une barre, tassé contre des congénères dont je fuyais le regard. Non, je ne sais pas pourquoi je suis là. Je regarde mes cheveux gras, luisant à force de n'être pas lavés, dans la vitre garantie incassable d'un panneau d'information où se reflètent également les voyageurs montant dans la rame. Dans un instant les portes vont se refermer, ils vont repartir et je vais rester seul sur ce quai, seul dans ma vie, seul avec les rails électrifiés sous les yeux. Il suffirait d'un si petit effort pour passer de l'autre côté du miroir dans lequel je contemple cette vie qui s'agite juste à deux pas de moi, que j'en ai les larmes aux yeux.
Si peu de choses ; je me retourne, je m'approche de la foule, un pas, deux pas, et je m'intègre à cette cohue bruyante et odorante, je retrouve ma place dans ce manège un peu vain, juste pour quelques minutes, quelques tours supplémentaires, juste pour rester vivant encore un moment. J'ai bien fait le tour de la question, j'ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac, (je n'en avais jamais parlé à personne), et j'ai commencé à observer mes biens chers frères et leurs attitudes plurielles. Je crois que je vais rester encore un peu finalement.
Aujourd'hui, je ne saurais pas dire pourquoi, je suis descendu dans la station de métro, celle qui est en face de chez moi. Je ne pense pas que ce soit par nostalgie du temps, qui me semble déjà si lointain, où je prenais place moi aussi sur un strapontin crasseux ou bien restait debout, agrippé à une barre, tassé contre des congénères dont je fuyais le regard. Non, je ne sais pas pourquoi je suis là. Je regarde mes cheveux gras, luisant à force de n'être pas lavés, dans la vitre garantie incassable d'un panneau d'information où se reflètent également les voyageurs montant dans la rame. Dans un instant les portes vont se refermer, ils vont repartir et je vais rester seul sur ce quai, seul dans ma vie, seul avec les rails électrifiés sous les yeux. Il suffirait d'un si petit effort pour passer de l'autre côté du miroir dans lequel je contemple cette vie qui s'agite juste à deux pas de moi, que j'en ai les larmes aux yeux.
Si peu de choses ; je me retourne, je m'approche de la foule, un pas, deux pas, et je m'intègre à cette cohue bruyante et odorante, je retrouve ma place dans ce manège un peu vain, juste pour quelques minutes, quelques tours supplémentaires, juste pour rester vivant encore un moment. J'ai bien fait le tour de la question, j'ai sorti mon cahier à couverture rouge de mon grand sac, (je n'en avais jamais parlé à personne), et j'ai commencé à observer mes biens chers frères et leurs attitudes plurielles. Je crois que je vais rester encore un peu finalement.
Que ton texte est triste Sammy !
RépondreSupprimerIl suffit de peu de chose pour se retrouver seule en vieillissant ! J'en ai la preuve tous les jours chez mes malades, et demain ça sera peut-être moi...brrrrr !
Saisissant de réalisme, comme tu sais si bien le faire ! merci de nous en faire profiter toujours....
RépondreSupprimerS'il veut se remonter le moral, plutôt que de prendre les transports en commun, qu'il vienne lire le blog de Maurice !
RépondreSupprimerJe suis entièrement d'accord avec toi Maurice, c'est d'ailleurs la base du récit : le personnage choisit en fin de compte de monter dans le métro plutôt que de se jeter dessous... Sans doute fera t-il comme toi durant le transport, et notera t-il les petits travers de ses contemporains ? Va savoir, vous vous êtes peut-être croisés...
RépondreSupprimerDelphine et Orion, c'est effectivement à ce genre de choses que j'ai pensé ; et aussi à la chanson de Benabar...