08 juillet 2009

Minuit moins 5 à Longyearbyen

Longyearbyen. Je ne sais même pas comment ça se prononce. Longyearbyen. Sûrement d'une drôle de façon. Longyearbyen, vous parlez d'un nom. Longyearbyen, c'est le chef-lieu de l'archipel norvégien du Svalbard. On peut aussi dire archipel du Spitzberg, c'est joli aussi. C'est un endroit charmant, à 1.000 km du pôle Nord à peu près. La température y est très occasionnellement positive. Une canicule a fait plusieurs morts il y a quelques années de cela.[1] Pensez donc, il avait fait 21° C pendant plusieurs heures d'affilée.[2]

Longyearbyen est donc la localité rêvée pour les personnes qui craignent les chaleurs excessives. Et la foule. Car cette capitale provinciale de 2000 âmes (2075 en 2007, mais la canicule est passée par là) offre, outre le confort moderne que les plus rustres des ours blancs sont en droit d'exiger, un espace vital relativement conséquent[3], propre à satisfaire les misanthropes les plus farouches.


Longyearbyen, l'été - Wikimedia commons

Longyearbyen est à ce point idyllique que des hommes sérieux, des scientifiques à la blouse blanche et à l'air grave[4], ont décidé d'en faire le lieu de la sauvegarde de l'humanité, rien de moins. Comprenez-moi bien : il ne s'agit pas de tous déménager dans ce petit coin de vacances sur glace pour échapper aux tracas du quotidien, mais bel et bien de creuser un trou dans le permafrost pour cacher les petites graines de l'humanité. Non, pas ces petites graines là ; de vraies petites graines, celles du riz, du blé, des lentilles, du mil, du sorgho... de la pomme de terre, qui n'est pas vraiment une graine, mais les norvégiens sont des gens tolérants.

Voilà pourquoi, le 26 février 2008, alors que le jour allait bientôt se lever[5], des personnalités aussi éminentes qu'emmitouflées se sont rendues à Longyearbyen, chef-lieu de l'archipel de Svalbard, pour inaugurer la plus grande réserve de semences du monde. On avait posé sans eux la première pierre, plusieurs mois auparavant, parce que manipuler une truelle avec des moufles, ce n'est pas facile.

Mais pourquoi cette réserve, à cet endroit, par ce froid ? Est-ce bien raisonnable ?




Il semblerait que oui. Les scientifiques à air grave et blouse blanche évoqués plus haut ont longuement étudié la question, et leur conclusion est sans appel : l'humanité court à sa perte.

Plutôt que de s'avouer vaincus devant cette triste évidence, l'idée a -eurêka- germée dans un de leurs cerveaux fertiles : si l'on ne peut rien faire pour éviter l'inéluctable auto-destruction finale, et imminente, de l'espèce, faisons au moins en sorte que les survivants du cataclysme aient de quoi casser la croûte. Planquons les graines dans un frigo.

C'est ainsi que le nom de Longyearbyen s'est imposé. C'est ainsi que ce bout de terre gelée oublié du monde a hérité de son sanctuaire. Pour assurer la sauvegarde de la diversité végétale de la planète contre, comme le dit joliment l'AFP, "le changement climatique, les guerres, les catastrophes naturelles et l'incurie des hommes".

L'incurie des hommes, ça peut être une banque de semences qui perd un de ses échantillons[6] (les scientifiques sont parfois tellement distraits) ; ça peut aussi être un militaire qui fait une fausse manœuvre en admirant son dernier joujou.

Il faut dire qu'avec un stock mondial de 20590 bombes nucléaires (à peu près), le risque d'une fin digne du docteur Folamour[7] commence à devenir non négligeable. Si l'on ajoute au tableau les perturbations dues au changement climatique, les problèmes liés aux hydrocarbures (pic pétrolier, géopolitique du pétrole) ou encore les risques liés aux nouvelles technologies[8], on comprend mieux l'urgence de planquer sa graine. Scrat l’écureuil a bien raison.[9]









20590 têtes nucléaires, c'est plus qu'il n'en faut pour faire exploser plusieurs fois la planète. Les surnuméraires sont conservées pour le cas où l'ennemi trouverait refuge sur une planète de secours. Car l'ennemi est fourbe. Il faut tout prévoir.[10]

Pendant que les militaires préparent l'avenir, les scientifiques, inquiets, calculent le compte à rebours avant le feu d'artifice. Ils ont à cet effet mis au point une "horloge" conceptuelle sur laquelle minuit représente la fin du monde[11]. A chaque regain de tension, à chaque soubresaut un peu plus violent entre un prince voyou et un Etat sans rire, ils avancent l'horloge du nombre de minutes qu'ils estiment nécessaire. A l'inverse, à chaque signe de détente, dès qu'un sale gosse cacochyme accepte de se séparer de quelques unes de ses bombinettes, ou qu'un bienfaiteur de son peuple rend son dernier soupir, ils reculent de plusieurs minutes le décompte fatal.

Depuis le 17 janvier 2007, l'horloge de l'apocalypse est à 23h55.

A Longyearbyen, il parait que les ours blancs s'en foutent.

***
[1] C'est pas vrai
[2] C'est vrai
[3] Deux fois la superficie de la Belgique pour 2300 habitants, on est à l'aise
[4] Ce n'est pas totalement vrai : selon l'UNESCO, un chercheur sur quatre est une chercheuse. Seulement.
[5] Celui qui suit la nuit polaire, bien entendu
[7] Java des bombes atomiques... et 10 femmes pour un homme pour les survivants réfugiés dans une "arche de Noé"
[8] Source : Wikipedia
[9] Ca, c'est pour détendre l'atmosphère
[10] C'est sans doute ce qui explique le nombre proprement ahurissant d'essais nucléaires menés entre 1945 et 1998 : 2053.Voir l'article "La musique de l'apocalypse"
[11] L'horloge de l'apocalypse ou Doomsday clock

7 commentaires:

  1. Sammy, tu as décidé de me rendre joyeuse et sautillante dès le matin ????
    (...quoique... je peux toujours aller faire provision d'antidépresseurs en sautillant joyeusement, la pharmacie n'est pas très loin. L'occasion d'une belle petite promenade matinale... alors, merci Sammy... (sanglots et gémissements plaintifs))

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  2. Sammy,
    Poussons le paradoxe : on préserve des graines dans un monde bousillé par la pollution essentiellement issue de... l'agriculture. Oops.
    RV

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  3. Je suis allé à Longyearbyen en 2007. C'est vrai que l'été peut y être chaud. 20° en arctique l'été, ce n'est pas rare. J'ai eu une journée à 14° et j'étais en t-shirt. Le soir je portais une cagoule tellement il faisait froid mais on était sur la banquise en pleine mer.

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  4. Ce billet est magnifique, comme toujours ici ! Dit moi , où ont ils caché la clé du sanctuaire ? Et oui, préserver des graines, c'est bien mais si on est seul survivant de l'humanité, il faut que l'on puisse retrouver l'endroit, puis y entrer ! Y a t'il une notice pour tout cela ? Sourire... PH

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  5. Bon... et puis quand tout aura sauté, que tout sera contaminé, c'est où qu'on va planter ces tites graines?
    21° en été au nord de la Norvège? Ben ouais, c'est la même température qu'aujourd'hui à Dijon... :-)... peut-être plus chaud même... ;-D

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  6. Un article qui m'a beaucoup plu et me pousse, une fois de plus, à cogiter.
    Longyearbyen en été, ça me tente, je n'aime pas la chaleur...

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  7. Il n'empêche Dame Kiki, après avoir lu mon article, le président Obama et le président Pout... Medvedev ont décidé de quelques uns de leurs joujoux atomiques (c'est pas moi qui le dit, c'est le journal, même si il omet de signaler le rôle éminent de ce blog)

    J'ai même trouvé nos deux amis russes plus primesautiers qu'à l'accoutumée. Comme quoi tu n'es pas la seule à avoir ressenti les effets bénéfiques de ma prose.

    RV et Tilu, merci pour vos pertinentes remarques qui sont de nature à donner à réfléchir à un philosophe dépressif (ou à un écolo militant, c'est pareil) ; mais je suppose que les graves, sérieux et tout de blouse blanche vêtus savants évoqués ci-avant n'ont pas négligé de tels problèmes. J'irai même jusqu'à penser qu'ils ont sauvegardé ce type de petite graine aussi, pour vraiment assurer la survie de l'humanité pour apocalypse J+1.

    PH, voilà encore une question pertinente. Mais là aussi, j'ai tendance à penser que tout a été étudié, que c'est un système très simple, un peu comme l'entrée des mines de la Moria dans Le Seigneur des anneaux : "Dites ami, et entrez"... :-)

    Merci du compliment Ink ; pour ce qui est de la chaleur, je me suis laissé dire par une certaine Tilu qu'une certaine capitale de la moutarde et des ducs de Bourgogne offrait des températures relativement agréables à ses habitants... ;-)

    Legweak, d'où la photo très emmitouflée qui ornait ta page d'accueil avant le décor "Tour de France" ? C'est vrai que 20°C quand la température est la plupart du temps négative, ça doit faire super chaud pour le coup... Merci de ta précision, ça apporte toujours un plus d'avoir un commentaire de quelqu'un qui peut parler directement du sujet abordé par l'article ! :-)

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