06 mai 2011

La joie et la fureur

Il nous a été donné ces jours-ci d'assister au spectacle de messieurs tout à fait pacifiques, agitant gaillardement des drapeaux comme à Iwo Jiwa. De mères de famille respectables se grimant de masques grotesques. De vieilles dames arborant des tenues excentriques. Avec des perles, un chapeau à plumes et des décorations clinquantes. Encore avaient-elles l'excuse d'être anglaises, ce qui rendait le détail anodin.

Car les anglais sont excentriques, monarchistes et bons enfants. Et buveurs de bière, mais c'est un détail qui n'a rien à faire ici. Quoi qu'il soit raisonnable de penser qu'ils ont vidé quelques pintes en l'honneur de la duchesse de Cambridge et du duc de Carrickfergus.

God save the Queen !

Outre Manche, on s'interroge, par vieil atavisme pas tant républicain que teinté d'anglophobie, sur la raison d'un tel engouement pour les arrières-petits-enfants de Georges VI. Sans doute, d'accord avec Maupassant, nous demandons-nous pourquoi faudrait-il être heureux à date fixe, sur décret du gouvernement. C'est sans doute ce même esprit de rébellion bien gaulois qui fait que nous assistons chaque 14 juillet à l'institutionnel défilé des troupes de la République.

Royal Wedding pearly supporter

Au final, l'événement n'en était un que parce que vendu comme tel par les médias. Mais la liesse populaire était bien réelle. Faut-il, à l'instar de paysanheureux être heureux de voir des gens heureux ? Ou bien, douter du genre humain avec Pensecris, qui ne comprend pas que l'on puisse s'intéresser à un tel spectacle, mais si peu aux injustices du monde ?

La réponse est dans l'énoncé : la crise économique, les catastrophes nucléaires, les tarifs des plombiers, le racisme dans le milieu du football, c'est déprimant, c'est triste, c'est pas beau... Les quelques millions de personnes qui ont suivi l'événement à la télévision ne se désintéressent sans doute pas de toutes les calamités qui s'abattent sur ce pauvre monde ; seulement, à choisir entre le spectacle de la misère et celui de la joie, même si il s'agit d'une joie mise en scène, institutionnelle et devenue un objet de consommation de masse par la grâce des médias, le choix, pour nombre de personnes, a été vite fait.

Un mariage royal, finalement, c'est une nouvelle incarnation du divertissement pascalien... Loin de me faire douter du genre humain, me voilà conforté dans ma vision des choses.

***

Trois jours à peine après cette joie naïve, on a pu voir d'autres images de joie : celle de la foule américaine manifestant son bonheur à l'annonce de la mort d'Oussama Ben Laden. On a alors vu de braves employés de supérettes, de doux agents immobiliers, d'inoffensifs analystes financiers (encore que pour ceux là, on soit moins sûr) agiter des drapeaux, se grimer de masques grotesques et, allez savoir, sans doutes d'honnêtes grand-mères ont-elles arboré des costumes ridicules.

Times Square on the night Osama bin Laden killed, CC Josh Pesavento
Car cette fois c'était sûr, le grand croquemitaine des peurs occidentales était mort. Ces gens, américains, new-yorkais en tête, criaient leur joie, leur soulagement. Alors ils ont levé leurs verres en plastique, scandé U-S-A jusqu'au bout de la nuit, et agité bougies et drapeau, dans une ambiance entre kermesse et concert de rock. Car les américains sont exubérants, patriotes et enfants de la liberté.

God bless America.

Ils étaient libérés d'un souci, d'un fardeau, d'un cauchemar. Mais plus que la fin d'une menace, c'était surtout la disparition d'un symbole et l'assouvissement d'une vengeance qui étaient célébrés. Cette joie là me fait peur. Dix ans de "guerre contre le terrorisme", 300 000 morts -en grande partie des civils, ce qui tend à prouver qu'il s'agit bien d'une guerre- des restrictions à nos libertés dont nous paierons longtemps le prix, et pas beaucoup plus de sécurité au final. La guerre est-elle vraiment finie ? Est-ce qu’on peut remettre du shampooing dans notre bagage cabine ? (dixit Michael Moore)
Non, bien sûr.

Osama Dead - CC Sebastian Niedlich
La mort du terroriste le plus connu depuis Carlos ne changera rien. Depuis 2001, nous vivons sous le règne de la peur. Peur qui nous a fait renoncer à nos valeurs : on surveille, on censure, on torture, on emprisonne sans procès. Cette exécution saluée comme une justice rendue ne vient qu'apporter une touche complémentaire à l'édifice ignominieux construit depuis le 11 septembre 2001, dans le bruit des armes et la fureur de la vengeance.

Je ne vois pas où sont les raisons de se réjouir. Heureusement qu'il nous reste les mariages royaux.

***

Le titre est bien sûr un clin d’œil à un autre William, royal à sa façon.

8 commentaires:

  1. "la joie, même si il s'agit d'une joie mise en scène, institutionnelle et devenue un objet de consommation de masse par la grâce des médias"

    Tu peux faire exactement la même phrase en changeant juste un mot:

    La peur, même si il s'agit d'une peur mise en scène, institutionnelle et devenue un objet de consommation de masse par la grâce des médias...

    On entretient la peur... elle fait bien trop l'affaire des puissants et des riches... La peur ,ça calme les envies de s'ouvrir, de rencontrer les autres, de discuter, d'échanger. La peur ça empêche de réfléchir sereinement, la peur ça rend méfiant , égoiste, et agressif... Et en plus, la peur ça fait consommer ... alors on n'a pas fini de nous faire peur.. ça sert trop bien certains intérêts...

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  2. paysanheureux08/05/2011 18:19

    J'aime la pertinence de la réflexion de Tilu ! La peur est une "industrie" !!!!
    Pour ce qui est du mariage, deux petites heures de répit ! A peine le temps de passer d'un attentat à une revanche mortelle... J'assume.

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  4. L'instinct grégaire, l'envie d'appartenir à une foule, plutôt que de plonger en soi pour chercher la joie et traquer ses peurs c'est tellement plus facile, mais plonge en toi et désintéresse toi (même temporairement) de ce qui attire les médias et tu sera taxé, d'égocentrisme, d’égoïsme, de narcissisme. Plus le temps passe, plus je me dis que tout ce que relaye la télé, n'est qu'une illusion, mais certainement pas le reflet de la société et encore moins de l'humanité, je rencontre tant de braves gens, des gens censés qui réfléchissent loin de ces choses là que j'ai un doute et un gros sur toutes ces choses là et ces conclusions là. Je rencontre souvent des gens qui essayent de consommer différemment, d'autres qui s'interrogent sur le bien fondé de leurs actes, qui suivent d'autres traces, d'autres chemins. J'en viens à me demander si le monde est vraiment mais alors vraiment si noir et superficiel que ça et je ne crois pas. Naive ? Peut-être mais alors le monde à besoin de naiveté ! Pis j'assume ;-)
    Ou alors je vis dans un monde parallèle ;-)

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  5. J'ai moi aussi trouvé la remarque de Tilu très pertinente. Il est vrai que depuis les attentats de 2001, on nous a vendu de la peur par pack de 12... et les mesures sécuritaires qui vont avec. Ce qui a d'ailleurs fait imaginer à certains les pires bêtises à propos des commanditaires réels ou supposés de ces attentats, voire à propos de leur réalité même...

    C'est pourquoi, même si je e porte pas spécialement les monarchies dan smon coeur, ne lit pas Gala et ne suit pas les péripéties de la vie passionnante de l'altesse Bidule et du Vicomte Trucmuche -qui sont au final assez semblable à la vie dérisoire de Odette Dugenou et d'Albert Duchmol, les paillettes en plus- je suis d'accord avec PH sur le qualificatif de "répit" accolé à cet événement pas réellement important ; dans ma chronique, je me suis simplement attaché à montrer (mais je me demande si j'y suis parvenu) que la mort de Ben Laden est elle aussi un non-événement, puisqu'elle ne change rien à nos vies, et ne nous rend pas ce que nous avons perdu le 11 septembre 2001. Mais, quitte à fêter quelque chose, autant fêter un mariage qu'un assassinat, fut-ce celui d'une ordure.

    C'est juste une question de valeurs.

    D'accord aussi avec Sandrine pour dire que celui qui sort du troupeau est montré au doigt. Que faire sinon le déplorer avec Brassens

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  6. Bonjour Sammy,
    Je vous remercie de votre visite et de votre commentaire sur les mots d'Edgar Poe.
    Mièvres et fades ils sont, mais ils illustrent comme je le souhaitais ma pensée du jour. Je peux faillir par moment...

    Suite à votre précédent commentaire, j'avais répondu ici-même, la semaine dernière: aurais-je fait une mauvaise manoeuvre?

    Amicalement,
    Kenza

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  7. Salut Kenza, il ne faut voir aucune intention malveillante de ma part dans mon commentaire de l'autre jour, c'est juste que je trouve effectivement ces vers médiocre, ce qui ne remet en cause ni l'estime que je porte à Poe, ni celle que je porte à ton blog :)

    Pour ce qui est des commentaires, tu dois savoir, étant sous Blogger toi-même, que ceux-ci font des caprices de temps en temps... C'est comme ça, faut faire avec ! =)

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