26 septembre 2006

Intermède à prétention littéraire

Sûrement vous en êtes vous rendu compte, j'aime bien écrire, et j'essaie de mettre une certaine application dans le récit de mes petites aventures ordinaires. Comme je le dis à Madame Proprette en réponse à son commentaire sur la chronique précédente, ce blog est un exercice très intéressant, sur le plan de l'écriture notamment, et le style de la chronique est celui qui se prête le mieux à ce que j'essaie de faire.

J'annonçais aussi une petite nouveauté, la voici. Je plante briévement le décor et je vous laisse lire, c'est déjà suffisament long comme ça. J'ai découvert il y a peu ce blog : Paroles plurielles, qui est tenu par Coumarine (lisez aussi ses Petites paroles inutiles), et qui en quelque sorte un atelier d'écriture en ligne. La dernière fois que j'ai participé à un atelier d'écriture, c'était dans le cadre de mes études -certains lecteurs doivent se rappeller de quoi il s'agit. J'avais vraiment aimé le concept de la consigne, j'ai toujours trouvé ça stimulant, mais je vous en parlerai une autre fois. Peut-être.

Vous l'aurez deviné, il fallait que je mette mon grain de sel là dedans. Le texte qui suit est donc ma première participation à cette joyeuse communauté, et je me propose, sans modestie aucune, de vous faire partager mes contributions.

Voici donc une nouvelle facette de Sammy, petite interruption (récréation ?) dans les chroniques ; ce petit exercice est purement littéraire, ne commencez pas à chercher des rapport avec ceci ou cela... J'ai essayé au maximum de partir de la consigne, de ce que l'image et l'incipit imposé m'inspiraient, et de m'adapter en conséquence. Je dois avouer que l'incipit m'a donné du fil à retordre... J'ai fini par me lancer sans trop savoir ce que je voulais dire, l'idée directrice est venue petit à petit. C'est amusant de voir comment une simple phrase peut influencer toute la suite.

Allez, bonne lecture ! (enfin, j'espère)

Vous écrivez un texte court à partir de la consigne suivante : Incipit (= première phrase): "Je ne l'aime pas, mais tant pis" en vous inspirant de cette belle peinture (Guillemard)


Je ne l'aime pas mais tant pis. Ou plutôt tant mieux, c'est plus simple comme ça. Ca m'évitera des histoires à n'en plus finir. Pas comme la dernière fois. Je ne l'aime pas. Qui a dit que je devais l'aimer ? C'est elle qui est amoureuse, je n'ai rien demandé à personne moi. Je crois bien que je suis ivre. Je ne l'aime pas. Et ce concert. Je joue comme un automate ce soir. Un limonaire, un orgue de barbarie. Je joue, mais c'est l'alcool qui tourne la manivelle. Je bouge mes mains mécaniquement sur le corps de ce fichu instrument que j'adore, en essayant d'oublier son corps à elle.

Je ne l'aime pas. Pourquoi est-ce que je n'arrête pas de penser à elle ? C'est uniquement sexuel. Oui, c'est ce que je vais lui dire. Juste du sexe. Je ne l'aime pas. Si je l'ai cru un moment, c'était dans la fièvre de la première rencontre. Je sais bien que je ne l'aime pas. Je croyais qu'elle le savait aussi. Mais après ce qu'elle m'a dit, c'est différent. Oui, c'est différent. Je vais lui dire ça aussi. Je ne peux pas continuer. Elle va sûrement pleurer. Tant pis. Peut-être va t-elle crier, m'insulter. Pourvu qu'elle ne fasse pas de scandale. Pourvu qu'elle n'appelle pas ma femme. J'aimerais que tout ça soit fini. Et ce concert...

Quelle migraine. J'ai vraiment trop bu. Les sons me rentrent par le sommet du crâne, comme si j'étais un entonnoir. J'entends la musique, mais elle me semble comme atténuée. Tout est étrange autour de moi d'ailleurs. Les autres musiciens semblent bouger à toute vitesse, ils semblent se gondoler, s'effacer, n'être que des formes et du mouvement. Je n'arrive pas à croire que personne n'ait rien remarqué. Il y a bien Paul, qui m'a jeté un drôle de regard tout à l'heure, mais Paul me jette tout le temps de drôles de regards. Va savoir à quoi il pense celui là. Je ne l'aime pas lui non plus. Mais c'est sans importance. Il n'est rien pour moi. Alors que elle... et pourtant je ne l'aime pas. J'aime juste ses formes rondes comme celles d'un violoncelle. Je sais la faire vibrer comme personne. J'aime faire l'amour avec elle. Oui, c'est juste ça que j'aime. Elle, je ne l'aime pas. Ou alors juste son regard. Son regard et son rire aussi. Mais tant pis. Je dois lui dire ce soir. Après ce sera trop dur.

Mais comment lui dire ? Je ne l'aime pas, mais je ne veux pas la faire souffrir. C'est étrange. Mais de quel droit s'accroche t-elle ainsi à moi ? Mais qu'est ce qu'elle croit ? Que je vais tout abandonner, ma femme, mes gosses, ma vie, tout ça juste pour elle ? Et elle, elle me regarde comme si j'étais un dieu. Pauvre folle. Non, je ne l'aime pas. Je ne peux pas l'aimer. Et de toute façon je ne vais pas tout foutre par terre pour elle. Même si elle est bien mieux que Monica. Mais tant pis. C'est quand même la mère de mes enfants. Et je n'aime pas les histoires. Je ne veux pas encore souffrir. Il suffit juste de se dire que je ne l'aime pas. Et qui dit qu'elle me plaira encore dans dix ans ? C'est mieux comme ça. C'est plus raisonnable. Je suis sûr qu'elle comprendra. Je ne l'aime pas, c'est si simple.

J'ai l'impression de flotter à côté de mon corps et de me regarder jouer. Fichu concert. Putain de migraine. J'ai l'impression d'avoir un casque de moto sur la tête. Mais un casque qui péserait une tonne. Mes yeux se ferment malgré moi, mais à ce moment là c'est encore pire. Le casque devient noir et encore plus lourd. Et j'ai tellement mal aux bras. Ce violoncelle est trop lourd. Je ne l'aime pas. Je n'aime rien ce soir. Je n'aime pas la musique. Je n'aime pas cette fille. En même temps, elle est trop belle. Oui, c'est ça : elle est trop belle. Ce n'est pas une femme pour moi. Elle aussi croit m'aimer, mais elle partirait. C'est mieux d'arrêter maintenant. C'est ça que je vais lui dire. Ca ne peut pas marcher entre nous. Elle finirait par partir. Je vais lui dire ça. Je vais la regarder bien en face.

J'aime sa façon de me regarder. Je sais qu'elle me comprend, pas comme l'autre. Mais ce n'est pas de l'amour. Non, je dois vraiment être sûr. Ce n'est pas parce qu'on pense pareil que je vais l'aimer. Ce sont deux choses très différentes. Elle est forte pourtant. Comment fait-elle pour tout deviner comme ça ? J'ai l'impression qu'elle sait tout de moi. Monica ne m'a jamais compris, elle. Elle m'a toujours fait chier en fait. Je ne l'aime plus comme avant c'est vrai. Mais c'est quand même ma femme. Et je ne vais pas tout plaquer comme ça. C'est juste un fantasme. Oui, c'est ça. Juste un fantasme. Ca ne pourrait pas marcher. Et puis divorcer... non, décidemment non. Je délire. Je suis ivre. Complétement. Les partitions semblent danser à mes pieds, je ne suis plus très sûr d'être dans la mesure. Tant pis. Je n'aime pas cet orchestre. Je n'aime pas cette vie. Je devrais tout plaquer et partir avec elle. Non. Non, je ne l'aime pas. Je dois l'oublier. C'est mieux comme ça. Et pourtant elle va me manquer. Tant pis.

J'étreins le violoncelle et je pense à elle. Mes mains deviennent des griffes qui vivent toutes seules. Je voudrais la griffer, la serrer, lui dire... lui dire quoi ? Lui dire que je ne sais plus où j'en suis ? Non, ce serait trop simple. Elle n'attend que ça. Je dois être fort. Je dois penser aux conséquences. Je suis certain que je ne l'aime pas. Tout me parait si simple maintenant. Je ne dois plus hésiter. Vivement que ce concert se termine. Elle m'attend. Comme les autres fois. Mais cette fois c'est différent. Je vais lui dire. Oui, ce soir je lui dis.

Après tout, je ne l'aime pas...

11 commentaires:

  1. Sammy, je viens d'écrire un looooooong commentaire et il a disparu!
    Je suis venue te dire spécialement que je t'ai lu sur PP et j'ai apprécié énormément ton texte
    Je suis toujours ravie qd je découvre qqun qui se débrouille vraiment bien dans l'écriture...et j'ai envie d'encourager au maximum.
    Flute je te disais encore plein de choses ah oui! que les répétitions pour moi rendent très bien le refrain lancinant qu'il se répète encore et encore: je ne l'aime pas
    Tu as fait l'expérience que la plupart de écrivains font: on commence à écrire, et n ne sait pas où l'on va...
    C'est super et tu me vois très heureuse de ta participation

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  2. Oh, zut... voilà quelqu'un qui m'écrit pour me faire des compliments et le commentaire disparait... j'ai pas de bol c'est pas possible ^^

    En tout cas, merci d'avoir condensé ton commentaire dans cet autre, tes compliments me font très plaisir.

    Je viens d'aller voir le commentaire que tu fais sur PP, merci ! c'est exactement ça. Tu as tout compris, mais je n'en attendais pas moins de toi !

    Merci de me rassurer par rapport à cette expérience de pas savoir où l'on va ; c'est ce qui fait que j'aime les textes à consignes et/ou contraintes : ça me donne un cadre. Je suis du genre à penser que la contrainte est stimulante. On a les limites, il suffit "juste" de remplir. Et dans ce cas précis, l'image était aussi importante que l'incipit.

    Mais hum... je sens que je vais me lancer dans des explications sans fin. Merci de me signaler par ailleurs ce petit problème de longueur... CA c'est vraiment difficile. Non pas tant de faire court, mais de se fixer une taille imposée. Je pense que tu vas comprendre ce que je veux dire : le texte a sa taille "naturelle", après, on ne peut que amputer ou délayer... Mais je vais essayer de me surveiller. Promis.

    Petit mot de la fin : quelques expériences similaires à la tienne m'ont fait prendre l'habitude du Ctrl+C avant de poster un commentaire ; ça peut parfois être barbant, mais ça m'a déjà sauvé de profondes pensées que je n'aurais pas pu reproduire après coup ^^

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  3. oui Sammy, mon boulot (tu sais que je suis animatrice d'écriture en vrai) m'apprend tous les jours que la consigne n'est pas un frein, bien au contraire, mais permet de partir, de décoller là où on ne serait peut-être pas allé sans elle. On est parfois lepremier étonné(e) de ce qu'on a écrit suite à une consigne

    Pas mal d'écrivains que j'interviewe (oui je fais ça aussi) disent que ils ne savent pas comment leur personnage va évoluer, que c'est comme si il avait une vie propre qu'ils découvent au fur et à mesure de l'écriture...moi même je fais cette expérience

    Je comprends que ton texte t'ait mené à une certaine longueur, justement parce que tu mets en scène les hésitations d'un personnage, son obsédant moniologue intérieur
    c'est juste que Paroles Plurielles prend une telle extension que j'ai dû demander de l'aide et imposer des restrictions de longueur...

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  4. Tu as vraiment un joli talent Sammy. Moi qui ai une imagination très visuelle, je peux te dire que je le voyais ton musicien au monologue, j'aurais pu tourner le film. Et ça, c'est génial, parce qu'on ne s'ennuie pas une minute à te lire. Mais tu le savais déjà ...

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  5. Merci MA, je suis content que ça t'ai plu ; je dois avouer que j'attendais avec impatience ton commentaire :-)

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  6. Gé-Nial !! je savais que tu étais doué mais là tu m'épates !! c'est vraiment un très bon texte !!! c'est super aussi que tu aies trouvé un site atelier ! je sens que tu vas faire des merveilles...

    parce qu'entre nous soit dit, les manif' de Dijon ça commençait à... enfin bon... ça manquait un peu de rêve, quoi!! lol

    Continues ! t'es sur la bonne voie ! ;-)

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  7. Pas la peine de te déguiser, je t'ai reconnue !!! Merci beaucoup pour le compliment, je dois dire que j'attends moi aussi les prochaines consignes avec impatience !

    Alors comme ça, ça manquait de rêve les manifs de Dijon ? Rolalala, toi alors ! Bien les filles ça, ça en veut toujours plus ! Ce n'est pas ce qui est dit qui est important, c'est la façon dont c'est dit ;-)

    Bon, je suis certain que tu vas venir voir mes progrès ;-)

    Mais pourquoi Dolly... ?
    Hummm, mon petit doigt me dit que...

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  8. Sammy, moi j'attends la suite !

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  9. La suite ? J'avoue ne pas y avoir pensé ! Comme je l'ai dit sur Paroles Plurielles, j'ai laissé ce monsieur repartir vivre sa vie, qu'il se débrouille avec ses problèmes de conscience =)

    Mais pourquoi pas ?

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  10. WOUAAA ... J'aime beaucoup !
    Il est vivant ce personnage ... Il sait aussi nous faire vibrer !

    Ne dis surtout pas comme ton musicien « Je dois l'oublier. C'est mieux comme ça. »
    Sammy, retourne le voir et conte-nous la suite ...

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  11. Ohlalala... si tu le monde s'y met, je vais finir par être obligé de le sortir du néant ce pauvre violoncelliste ! Mais c'est que je n'ai pas la moindre parcelle d'idée moi ! Si lui ne s'en sors pas, comment voulez-vous que moi, qui ne suis pas dans sa tête, puisse décider à sa place ?

    Il y a une nouvelle de Borges comme ça, où le personnage crée un homme, lui enseigne tout ce qu'il sait, et l'envoie vivre sa vie, avant de s'apercevoir à la toute fin de la nouvelle qu'il est lui même le fuit de l'imagination d'un autre rêveur... Très beau texte.

    Et très belle digression =)

    Bon, je vous promet d'y réfléchir, ça va comme ça ?

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