04 mai 2010

Actualité de Victor Hugo

Je viens de lire L'archipel de la Manche, longue digression semi-poétique qui sert de prologue aux Travailleurs de la mer ;  je trouve ce passage (Chapitre XVIII : Compatibilité des extrêmes) particulièrement intemporel et adapté à toutes les époques :

Arrivez, vivez, existez. Allez où vous voudrez, faites ce que vous voudrez, soyez qui vous voudrez. Nul n’a droit de savoir votre nom. Avez-vous un Dieu à vous ? prêchez-le. Avez-vous un drapeau à vous ? arborez-le. Où ? dans la rue. Il est blanc. Soit. II est bleu. Très bien. Il est rouge. Le rouge est une couleur. Vous plaît-il de dénoncer le gouvernement ? Montez sur la borne, et parlez. Voulez-vous vous associer publiquement ? Associez-vous. Combien ? Tant que vous voudrez. Quelle limite ? Nulle limite. Avez-vous envie d’assembler le peuple ? Faites. En quel lieu ? Dans la place publique. J’attaquerai la royauté ? Cela ne nous regarde pas. Je veux afficher ? Voilà les murailles. Pensez, parlez, écrivez, imprimez, haranguez, c’est votre affaire. Tout entendre et tout lire, d’un côté, cela implique, de l’autre, tout dire et tout écrire. Donc franchise absolue de parole et de presse. Est imprimeur qui veut, est apôtre qui veut, est pontife qui peut. Il ne tient qu’à vous d’être pape. Vous n’avez pour cela qu’à inventer une religion. Imaginez une nouvelle forme de Dieu dont vous vous ferez le prophète. Personne n’a rien à y voir. Au besoin les policemen vous aident. D’entrave point. Toute liberté ; spectacle grandiose. On discute la chose jugée. De même qu’on sermonne le prêtre, on juge le juge. Les journaux impriment : « Hier la cour a rendu un arrêt inique. » L’erreur judiciaire possible n’a droit, chose étonnante, à aucun respect. La justice humaine est livrée aux contestations comme la révélation céleste. L’indépendance individuelle irait difficilement plus loin. Chacun est son propre souverain, non de par la loi, mais de par les mœurs. Souveraineté si entière et si mêlée à la vie qu’on ne la sent, pour ainsi dire, plus. Le droit est devenu respirable ; il est incolore, inaperçu et nécessaire comme l’air. En même temps, on est « loyal ». Ce sont des citoyens qui ont la vanité d’être sujets.

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