14 mai 2012

C'est ainsi qu'un jeune noir du Zimbabwe a volé un manuel de physique supérieure

J'aime les livres aux titres alambiqués, ça me donne davantage envie de les lire que les autres. Parfois je suis déçu, souvent le contenu n'a rien à voir avec ce que le titre m'avait laissé imaginer, mais ce n'est pas grave, quand je tombe sur un titre comme "Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer" ou "Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants", c'est impulsif, j'ai envie de savoir ce qu'il y a derrière. Somme toute, trouver un bon titre, c'est un petit peu le marketing de l'écrivain.

C'est donc naturellement à cause de son titre que j'ai été amené à lire "C'est ainsi qu'un jeune noir du Zimbabwe a volé un manuel de physique supérieure", court essai (68 pages) de Doris Lessing.
La mamie des lettres anglaises y dresse le triste constat que dans les pays les plus démunis, en Afrique notamment, et essentiellement au Zimbabwe qu'elle connait bien, on rêve de posséder des livres, et plus généralement, d'accéder à l'instruction, clé permettant d'ouvrir les portes du monde moderne, tandis que dans la petite portion suréquipée de la planète, les enfants ne savent même pas qui est Goethe, et les journalistes se sentent obligés de préciser, dans leurs articles, "Goethe, l'écrivain allemand..."

Au final, les plus chanceux iront à l'école 2 ou 3 ans, années payées en kilomètres à pied ; les enfants de nos contrées, blasés et indifférents, se souciant pour leur part comme d'une guigne de l'existence d'une telle situation, et de Goethe, et de la littérature. La plupart deviendront ce qu'elle appelle des "barbares instruits", "personne longuement formée (et grassement payée) [qui] est, en dehors de sa discipline, totalement ignorante".

Pendant ce temps, de petits enfants d'Afrique qui ne savent même pas lire volent des livres, tellement l'objet est, pour eux, le symbole de l'accès à ce savoir dont ils rêvent :
Le coupable fut amené, sanglotant, devant ses juges, un instituteur, qui était un garçon de dix-neuf ans, et son assistant, un gamin de douze ans.
"Pourquoi as-tu volé ce livre ? "
Pas de réponse. L'enfant pensait peut-être, comme cela nous arrive souvent : "quelle question stupide."
"Tu ne peux pas le lire parce que tu ne sais pas lire. C'est à peine si tu peux le soulever. Pourquoi l'as-tu volé, pour quoi faire ?
- Je voulais avoir un livre à moi", avoua le malfaiteur dans un sanglot.
En sus de ces considérations, c'est un beau texte -avec un arrière goût nostalgique et pessimiste- sur la culture, le partage et la lecture : 
L'esprit d'une personne qui n'a pas lu ressemble à l'un de ces paysages où la poussière tourbillonne d'un horizon à l'autre.

8 commentaires:

  1. C'est triste !... très triste de penser à nos jeunes qui se la jouent "moi j'suis un rebelle, l'école ça m'en... et j'aime pas les livres" quand d'autres rêvent de pouvoir mettre un doigt dans le monde de la lecture, connaitre simplement le plaisir de posséder un livre, un trésor...

    merci pour la découverte et le partage !

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    1. Merci ! J'aime bien repartager mes petites découvertes... quand j'ai le temps de le faire !

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  2. ... Ailleurs, je ne sais pas, en France, l'élitisme intellectuel ferme hélas bien des gens issu de milieu dit socio culturel pauvre (je déteste la formule) à la lecture ou la culture. Il me semble que la façon d'aborder la littérature dans les pays suréquipé y est pour quelque chose... La comparaison me parait pour le moins saugrenue et les considérations Nord Sud obsolètes. Il se trouve que dans notre pays aussi accéder à la culture n'est pas donné à tous le monde, quoi qu'en dise, mais c'est un peu comme le clochard, on le regarde pas, il n'existe pas...
    Je me souviens d'un âge ou je n'avait ni le bagage, ni la culture pour aborder Phèdre, ce qui ne m'a pas empêché de ne rien comprendre et d'avoir le coup de foudre tout de même, une prof ma ouvert la porte vers la culture, j'aimais déjà lire certes, mais je pensais déjà alors (question de professeurs) que je n'avais pas le droit à certains pans de la littérature, longtemps j'ai aussi cru que je en savais pas lire (interpréter) parce que ma sensibilité n'envisageait pas le livre comme la bienséance lettrés le faisait. En fait, il y a beaucoup à faire, partout sur la planète pour que la littérature ne soit pas l'apparat d'une poignée de personnes mais bien de l'humanité toute entière, parce que oui, la littérature est une question d'humanité.

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    1. Certes, l'accès à la culture est loin d'être une évidence pour tout le monde, et je vois que le travail de Pierre Bourdieu n'a pas été perdu pour tout le monde. Mais tout de même : peu ou prou, nous avons tous accès à un système d'éducation, plus ou moins gratuit, plus ou moins obligatoire, et les livres sont surabondants. La question est plutôt de savoir que faire pour transmettre l'envie d'apprendre, parce que les moyens, nous les avons, nous !

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  3. Et puis on dirait que dans nos pays, on ne cherche plus de solutions, on fait que jeter la pierre, je sais y'a peut-être aussi à se remettre en cause nous adultes, les fameux barbares instruits, parce qu'on la fabrique bien notre jeunesse ? Je ne me sens ni barbare, ni instruite. Et je crois bien que les gens de nos contrées sont plsu malheureux qu'on ne l'imagine. on les gave et après on s'étonne, qu'ils deviennent ce qu'ils sont ? Soit, la crise s'aggravant, on deviendra peut-être un peuple de pauvres qui rêvera d'école, qu'est-ce qu'on sera mieux avancé !

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  4. Alors vous aimerez le titre de mon livre :"Affaires étranges au quai des Orfèvres" Cela dit, le titre n'est pas toujours le choix de l'auteur. pour moi c'est mon éditeur Corsaire éditions, qui l'a choisi, cependant il reflète mieux le contenu que celui que j'avais choisi

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    1. Je suppose que votre livre parle de Doris Lessing ?

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