13 mai 2006

Ensemble, c'est bien

Jour de pluie maussade et gris. Au diapason avec le temps, je promène mon blues dans mes quelques mètres carrés, cherchant une raison à ce mal être et me reprochant mon attitude. Il te manque quoi ? Qu'est ce que tu veux ? A quoi tu rêves ? Il est des choses graves, tu le sais. Beaucoup plus graves. Mais bon, c'est comme ça, il est des moments où les mauvais démons refont surface, et le coup de balai, pour rédempteur qu'il soit à l'égard de mon linoléum ne les emmène pas avec les vestiges de la semaine.

Sur le coup de 17h, je me cale sur mon lit défait, et je reprend la lecture entamée hier soir : Ensemble, c'est tout/Anna Gavalda, 22€ de papier imprimé, une couverture horrible, mais un auteur apprécié, dont la lecture de ce titre s'impose avec d'autant plus de force qu'il m'a déjà été conseillé maintes fois par Delphine.

Les presque 50 pages avalées cette nuit (entre 1h30 et 2h du matin...) m'avaient déjà donné une très bonne impression. Anna Gavalda n'écrit pas une histoire. Elle écrit la vie. La vie de tous les jours, pas celle des romans. Celle d'êtres qui se débattent avec la leur, ne savent pas quel sens lui donner, et flottent à l'intérieur comme en des vêtements trop larges pour eux. Avec leurs espoirs, leurs rancoeurs, leurs problèmes, futiles ou dramatiques, leurs quotidiens si semblables aux nôtres et pourtant si abîmés qu'eux mêmes s'interrogent sur leur fragile réalité :
- En fait, t'es une fille normale...
- Pourquoi tu me dis ça ? Bien sûr que je suis une fille normale...
C'est vraiment la vie qui défile entre nos mains ; la vie avec ses hauts et ses bas, ses vacheries et ses moments de bonheur. Je n'en suis qu'à la moitié du livre, mais déjà une morale s'en dégage : notre vie, c'est nous qui la faisons, nous sommes libres de la rendre ensoleilée, ou bien de nous faire du mal au point de s'imaginer des cailloux dans l'estomac, comme si le fardeau d'être vivant était décidemment trop lourd à avaler...

On rit beaucoup au fil des pages qui passent trop vite, on partage les souffrances des protagonistes aussi, mais sans excès, sans faux effets larmoyants ni surenchère dans l'émotion ; c'est la vie, rien que la vie, avec ses joies et ses peines, ses bons côtés et ses chausses-trappe. Avec l'amitié et l'amour aussi, qui en sont le sel indispensable. (si vous préférez, je fais la même métaphore avec du sucre...)

Trois protagonistes principaux pour l'instant, j'en pressens un quatrième qui est encore en retrait. Camille d'abord, quarante-huit kilos d'amour pour un mètre soixante-treize de désespoir, c'est elle, les cailloux dans l'estomac. Le génie dans les mains et la rage au ventre, elle dessine un monde qu'elle ne peut apprivoiser. Philibert Marquet de la Durbellière ensuite, l'aristocrate aux souliers troués, le gentleman anachronique. Aussi timide que respectueux de l'étiquette. Amoureux de Marie-Antoinette et de Mme d'Etampes, vivant dans un monde poussiéreux, rempli de livres d'histoire, de blason et de portraits au regard sévère.

La rencontre de ces deux là, inévitable et providentielle, ne pouvait être que cocasse et charmante, autour d'un panier à pique nique du second Empire, au milieu d'une chambre de bonne haussmanienne...
Ils s'assirent en tailleur, ravis, enjoués, comme deux gamins qui inaugureraient leur nouvelle dînette, faisant mille manières et autant d'efforts pour ne rien casser. [...] Ils n'étaient pas bavards. Ils n'avaient plus l'habitude de partager leurs repas. Le protocole ne fut donc pas très au point et tout deux eurent du mal à se dépêtrer de leur solitude. Mais c'étaient des gens bien élevés et ils firent un effort pour porter beau. S'égayèrent, trinquèrent, évoquèrent le quartier.
Franck, le troisième semble plus lisse, plus banal, laisserait presque croire qu'il mène une vie sans problèmes. Jeune cuisinier, il accumule les extras et les conquêtes d'un soir pour payer sa moto et se faire croire qu'il est heureux. Mais toute sa vie se résume à sa grand-mère, la très vieille Paulette Lestafier, qui ouvre le roman par une chute en avant qui la conduira, d'urgences en centre de rééducation, vers cette maison de retraite dont elle redoutait tant l'imminence.

C'est elle le quatrième personnage qui va prendre de la place à mon sens ; je la verrais bien venir s'installer dans l'immense appartement de Philibert. Mais n'anticipons pas.

Autant les deux premiers communient dans la parole et un amour commun de l'art, autant Franck est frustre, et ressent son état comme une infériorité.
Parce que lui, il le savait qu'il n'était pas aussi bourrin qu'il en avait l'air, mais son problème, c'était les mots justement... Il lui manquait toujours des mots alors il était obligé de s'énerver pour se faire comprendre... C'est vrai, c'était vraiment gonflant à la fin, merde !
Et ces trois êtres se parlent, se croisent, s'évitent et se réconcilient dans cet appartement, chacun apportant quelque chose aux deux autres et tous s'aidant sans vraiment en avoir conscience.

J'ai été obligé d'arrêter ma lecture vers 20h15, au bord de l'inanition, et dans la peau d'un contorsionniste que l'on aurait oublié de déplier. Crrrrrac, tous les os et cartilages traumatisés par la même position me font savoir leur mécontentement comme je me déplie dans l'idée un peu vague de me nourrir. Mais je me sens néanmoins beaucoup mieux.
Elle fit un peu de ménage pour changer et reprit son livre. Il n'est pas de chagrin qu'un livre ne puisse consoler, disait le grand homme. Allons voir...
Il y a deux ou trois phrases comme ça que j'aurais pu croire écrites pour moi... mais j'y reviendrai. Je dirai également un mot sur la façon dont la voix du narrateur s'adapte au personnage mis en exergue, sur ce style "neutre", qui est une des choses les plus difficiles à atteindre en littérature, les écrivains adorant qu'on reconnaisse leur "patte" au bout de trois lignes...

Delphine, merci. Vous tous qui avez des amis, conseillez-leur les livres que vous avez le plus aimés. C'est un cadeau rare et précieux.
Comme l'amitié.

3 commentaires:

  1. Bravo pour cette critique si juste et sincère. Rhâââ!! pourquoi je l'ai pas écrite ? parce que y 'a que toi pour nous pondre un tel texte.
    Très contente en tous cas de te l'avoir conseillé, comme je conseille souvent à tout un chacun les oeuvres de A. Gavalda. Bon en fait elle en a écrit que 3 je crois : l'autre que je conseille fortement "J'aurais voulu que quelqu'un m'attende quelque part..." Un régal également!

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  2. c'est drole que les méandres de ton blog m'aient amenée sur cette chronique aujourd'hui (comme quoi l'auto promo ,ça fonctionne bien) parce que lundi prochain je pars à l'hosto pour une semaine et .... qu'ai-je déposé dans mon sac entre mes pyjamas , ma brosse à dents et mes tonnes de cds? ..... je te le donne en mille .."ensemble ,c'est tout ".....un livre, conseillé par une amie.... evidemment , de te lire m'a donné encore plus envie de le lire..... j'aurai presque envie d'y etre déjà....... mais je ne veux pas le commencer tout de suite, j'aurai trop peur de l'avoir fini avant d'y aller..... et puis cette attente me plait.....un peu comme une impatience enfantine devant la cheminée au mois de décembre..... mais je suis sage , j'attends, ça me ferai presque oublier pourquoi je vais etre eloignée de chez moi pendant une semaine....enfin presque......

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  3. J'aime bien revenir sur de vieilles chroniques pas si oubliées que ça !

    Ben oui Tilu, c'est fait pour ça les auto-liens d'auto-promo, c'est pour faire lire des choses écrites à une époque où je n'avais qu'un lecteur... ou plutôt une lectrice, à qui j'avais dû répondre par mail à l'époque ;-) Salut, ô toi ^^

    Je suis bien content que mon petit texte te conforte dans l'envie de lire ce livre. Tu vas voir, tu ne vas pas regretter de l'avoir emmené ! Tu regretteras plutôt qu'il soit si court ;-)

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