06 octobre 2006

Chronique des auteurs en quête de personnages

Jason Johnson est un homme plein de bon sens. D'abord parce qu'il est écossais, et que les écossais sont un peu les auvergnats de sa gracieuse majesté, c'est dire à quel point ces gens là sont fortement recommandables. (N'est ce pas Lilou ?) Ensuite parce qu'il a trouvé un moyen original de subvenir à ses besoins d'écrivains, car ce métier ne nourrit que rarement son highlander. Pierre Assouline rapporte avec talent et ironie cette idée lumineuse : vendre au plus offrant les personnages de son prochain roman. Tous les personnages. Les vieilles dames prodigues, les enfants indignes, les colonel de Castille et les Blanche Moutarde. Les agents pédophiles et les prêtres assermentés, bref, toutes ces figures improbables que seule l'imagination de l'écrivain peut enfanter. Même les chiens sont à vendre. Pour que les plus humbles de de ses sponsors puissent participer.

Selon une caractéristique qui m'est propre, et que par facilité de langage je nomme le goût pour la digression, alors qu'il s'agit davantage d'une manière de penser, ceci m'a fait me souvenir d'autre chose. D'un autre auteur, français, et d'un commentaire sur son principal livre, que j'écrivis il y a près de 8 ans. (ben oui, ça passe...) Je trouve mon avis encore assez valable, voilà pourquoi je m'autorise à le ressortir du tiroir. Ne pensez pas cependant lire le texte original, je l'ai un peu dépoussiéré malgré tout. L'auteur en question, c'est Pierre Michon, le livre, ce sont ses Vies Minuscules.

C’est par ce premier livre que Pierre Michon a réussi à enfin entrer en littérature et du même coup à se trouver, s’accepter, et s’installer dans la vie. Au sens plein du terme, car c'était pour lui un choix entre la littérature et la mort. C’est l’œuvre d’un homme qui a cherché dix-huit ans durant son équilibre, accablé par sa longue incapacité à écrire, et auquel il fallu tout ce temps pour se construire, en frôlant la destruction. Vies minuscules, ou l’écriture comme catharsis.

Le récit est un autoportrait génial car indirect, une succession de huit vies au fil desquelles le narrateur s’accorde une place croissante, et où dominent deux thèmes : la recherche de la grâce et la chute. Le salut, et la déchéance. Autant de vies comme autant d’exemples de l’homme dans toute son angoisse et sa fragilité ; autant de vies entre lesquelles l’auteur est un lien parfois ténu mais essentiel.

A chacune son histoire, toujours plus ou moins la même : quête du bonheur, volonté de donner un sens à son existence et, au bout du chemin, la désillusion. L’échec, la plupart du temps la mort. Semblant devoir subir cette même fatalité, l’auteur se livre en toile de fond, d’abord presque effacé derrière ces destins qu’il s’efforce de magnifier, puis prenant plus d’importance au fur et à mesure que le récit avance dans le temps, au fur et à mesure qu’il s’approche de l’époque de son énonciation. Sa vie, ainsi relatée étapes par étapes, apparaît graduellement, à la manière d’un tableau impressionniste qui se peindrait au fil des pages ; il la décrit par petites touches d’une réalité crue, sans complaisance ni dissimulations.

Rédigée dans une langue absolument domptée et aux sonorités profondes, où chaque mot compte, cette introspection qui le réconcilie avec lui-même lui a apporté l’apaisement et le moyen d’une écriture longtemps cherchée en vain. Il n'est pas une virgule qui ne soit importante, il n'est pas une phrase qui ne soit soupesée. C'est cette exigence de perfection qui a failli le tuer, car il se voyait incapable de produire cette grandeur qu'il portait en lui. Car les livres de Michon enferment le souffle des épopées ; certes des épopées noires et désespérées, mais on entend tout de même le murmure des hommes morts et la voix du passé.

Photo Daniel Morvan/Ouest France

Car voilà le lien avec l'anecdote contée au début de cette chronique : les personnages de Michon sont réels. Ils ont eu leurs vies, il les rappelle, les transfigure souvent, à travers des pages au style impeccable. Il répugne, il me semble que ce sont ses termes, à créer des fantômes. Qu'il tire de l'oubli toute une généalogie paysanne, ou évoque la mémoire de Rimbaud, qu'il raconte la fin d'un curé de campagne qui croyait trop en la puissance du verbe ou qu'il fasse revivre les souvenirs de Faulkner, Balzac ou de l'obscur Patrick d'Irlande, c'est toujours la même force qui se dégage de ses mots.

J'ai longtemps cru que l'homme qui se cachait derrière était aussi noir et torturé que ce que ses épopées de l'échec pouvaient laisser croire. Mais la littérature l'a sauvé. Décrivant le naufrage des autres, il s'est maintenu lui-même à flot. J'ai eu la satisfaction de le rencontrer lors d'une lecture publique il y a quelques années, et j'avais été assez étonné de voir quelqu'un de tout à fait courtois, souriant et pour tout dire normal.

Il faut toujours prendre la littérature avec sérieux. Pour les auteurs, c'est une autre histoire.

***

A lire absolument :
  • Vies minuscules
  • Mythologies d'hiver
  • Abbés et Corps du roi (Prix Décembre 2002)
Mais aussi : Rimbaud le fils, La grande Beune, Le roi du bois

Pierre Michon est publié par les éditions Verdier ; la photo est extraite de cet article de Daniel Morvan.

10 commentaires:

  1. Avant de te lire, je ne connaissais pas Pierre Michon (honte à moi!).
    Je vais tenter de réparer cette carence (j'ai vu que Vies Minuscules était édité en Folio) mais je me rends compte que mes lacunes littéraires sont si grandes ... J'envie ceux que leur travail autorise à se cultiver tout au long de leur vie. Je regardais l'autre jour un reportage sur les retraités qui veulent rattraper le temps perdu, et je m'identifiais à cette rhumatologue devenue accro des cours de la Sorbonne (mais bon, Toulouse n'est pas tout à fait Paris!).
    Et tes Chroniques participent à mon élargissement culturel ...

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  2. Merci pour cette piste de lecture Sammy.

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  3. Vies minuscules, c'est le livre que tu aurais aimé écrire... je me trompe ? 6 ans que je t'entends parler de ce bouquin, malheureusement nos débats n'ont jamais pu être très poussés car je n'accroche pas !
    ça n'empêche que tu restes mon encyclopédie vivante ;-! et que j'apprécie toujours tes écrits !

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  4. Oulala, j'ai trois commentaires de retard ! Alors, dans l'ordre :

    @ Marie-Aude : c'est vrai qu'il n'est pas très connu, je ne l'ai moi-même découvert qu'à l'occasion d'un "cours" portant plus ou moins sur la littérature. Dolly verra ce que je veux dire =)

    @ Maurice : pour lire dans le TER peut-être ?

    @ Dolly : Hummm... je ne pense pas. Je ne me sens aps capable d'écrire comme ça, je ne me reconnais pas dans ce style ; mais je suis admiratif devant sa "force de frappe". Il cogne dur. Après, ben oui, on aime ou on aime pas, ça ne s'explique pas.
    Encyclopédie vivante ! Mazette ! A quand le "Sammy en 15 volumes" disponible dans toutes vos bonnes librairies ? ^^

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  5. Je suis d'autant plus flattée du commentaire sur Paroles plurielles qui m'a fait pousser la porte du blog de Sammy, que je découvre que j'ai à faire à un connaisseur...
    D'autant plus merci.

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  6. Merci de ta visite Lulu ! N'hésites pas à repasser ! Tu peux d'ailleurs voir que je ne parle pas que des livres que je lis, je raconte un peu tout, mais avec ma façon rien qu'à moi =)

    En passant, il existe des blogs de personnes qui ne font que ça, des résumés de livres qu'ils ont lu... je ne comprend pas comment ils font... moi, il faut déjà que je "digère" le livre, et encore, il y a certains auteurs que j'adore, et je ne me sens aps de taille à faire un commentaire à la haiteur de leur mérite :/

    Bref... digression du jour ^^

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  7. Quelle modestie ! moi je crois que tu es trop perfectionniste, pourtant tu es capable d'analyses très justes et pertinentes, avec la pointe d'humour qu'il faut pour digérer le tout ! ;-)
    (tu n'es pas obligé de réagir à mon commentaire...)

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  8. :-)

    Trop perfectionniste ? C'est pas faux...

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  9. Au moins trois choses qui rapprochent les écossais des auvergnats : ils sont d'origines celtes, ont la réputation d'être avares et ont de magnifiques paysages vallonnés à contempler :)

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  10. Bonjour, visiteur anonyme venu de Rhône-Alpes ! (je n'en dirai pas plus, mais sitemeter est super indiscret tout de même !)

    Merci pour ton passage, ton hommage à l'Auvergne, et le rythme ternaire de ton commentaire qui m'a beaucoup plu quand je l'ai lu hier soir !

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