11 novembre 2006

Monsieur Hulot au supermarché, chronique à épisodes

Un jour sans pain, c'est dur. C'est long surtout. D'où le célèbre proverbe. Voilà pourquoi j'achète toujours du pain que je mets à congeler, afin de pouvoir compter sur quelques tranches en cas de paresse pénurie. Ce pain là, je l'achète souvent au Carrefour le plus proche, d'abord parce qu'il est bien gros, ensuite parce qu'il est bien bon. Et aussi parce que c'est à côté du boulot. Il y avait à deux pas de chez moi une petite boulangerie qui vendait des baguettes qui se desséchaient sitôt le seuil franchi. On vient de raser l'immeuble. C'est bien fait.


J'étais hier dans cette grande surface, où je n'avais pas vraiment prévu d'acheter ce fameux pain, il m'en reste suffisamment ; l'idée me vint cependant en passant devant. Pas de chance, aucune des boules n'est prédécoupée, alors que habituellement, quand j'en veux une entière, elles le sont quasiment toutes... Je choisis donc une boule d'une forme à ma convenance, et j'attends mon tour devant la machine à trancher. Qui est, aussi étonnant que cela puisse paraître, en libre service. Je précise à l'intention de ceux qui se poseraient la question que le pain congelé c'est très dur, voilà pourquoi il vaut mieux avoir pensé à le découper avant !

Mais je n'imaginais pas que cette machine allait me poser quelques problèmes.

Je pose le pain du côté approprié, je referme le capot, les scies se mettent en marchent. Tout se passe bien, la boule de pain ovoïde passe pile dans le sens que je veux, se découpe correctement et choît juste devant moi, derrière la protection de plexiglas encore abaissée. Je lève cette barrière me séparant de ce pain que je considère comme déjà mien, tend une main avide vers la nourriture -l'autre continuant à tenir le fameux sac carrefour- mais c'est ce moment là que les tranches décident toutes ensemble et unilatéralement de prendre leur autonomie et de partir dans des directions opposées, le sol semblant malgré tout être leur destination principale. Du pain kamikaze, on aura tout vu. Je referme prestement le couvercle de la machine qui me paraît déjà odieuse ; aucune tranche n'est tombée. Quels réflexes.

Seulement, refermer le capot a déclenché un nouveau cycle de découpage. Les lames, ne coupant que du vide, ne semblent dès lors pas prêtes de s'arrêter, et je n'ai aucune raison particulière de me séparer de quelques phalanges aujourd'hui. Que faire ? Gros et rouge devant mes yeux angoissés, un bouton "arrêt d'urgence" s'offre à la portée de mes petits doigts tentés. J'appuie dessus, le ronronnement cesse aussitôt. Je redresse la tête pour un bref triomphe, j'ai vaincu la machine.

Je me sers cette fois de mes deux mains pour ouvrir le capot, m'apprêtant à rattraper au vol avec cette vivacité évoquée plus haut la moindre tranchounette qui se lancerait dans une cavale de la dernière chance. Enfin... pour tenter d'ouvrir le capot. Tiens, il n'était pas si lourd tout à l'heure. Mais tire bon sang. Il y a un bouton pour ouvrir ? Un bouton... ah, ça y est, j'ai compris. Arrêt d'urgence, sécurité, blocage. La porte de plexiglas ne s'ouvrira plus. En tout cas pas ce soir.

Je fais une boule rageuse de l'inutile sac en papier qui pend de ma main, le jette dans la panière et m'éloigne à pas feutrés... Parfois j'ai l'impression d'être le personnage principal d'un film comique...

***

Cette quatrième chronique des supermarchés aurait pû s'arrêter là, mais c'était sans compter sur les inévitables rencontres loufoques de la caisse. Cette fois, une mamie complètement débordée et son petit fils vont m'occuper de longues minutes.

C'est justement parce qu'il ne restait qu'eux que j'ai choisi cette caisse. J'arrive alors que le drame atteint son paroxysme. Le petit veut sa bouteile de Fanta. Mamie ne veut pas. Il hurle et trépigne, elle ne cède pas, tend le bras, et pose la bouteille de la discorde aussi loin qu'elle le peut, c'est à dire à côté de mon jus d'orange. Se ravisant, elle demande un effort supplémentaire à son vieux squelette, et pose l'ignoble boisson gazéifiée sur le petit rebord métallique précédant le tapis roulant.

Le blondinet aux yeux bleus, petit tyran de quatre ans, ne décolère pas. Pendant que mamie extrait ses quelques achats de son sac (petits suisses, petites voitures, album à colorier, devinez qui est le bénéficiaire), il se faufile entre moi et la caisse, montant allégrement au passage sur mes chaussures neuves, nullement effrayé par l'oeil torve que je lui tourne. J'ai toujours eu beaucoup de mal à faire croire que j'étais méchant, ce n'est pas aujourd'hui que je vais y arriver.

Son trophée en main, il retourne vers mamie. Habillée de vêtement déjà hors d'âge lorsque elle les acheta, tâchant de garder le contrôle de la situation, elle s'efforce, chignon et cheveux blancs, de s'activer avec lenteur. Avisant le monstre radieux avec sa bouteille, elle reprend l'objet du délit et le pose de nouveau, je ne sais plus trop où, encore plus loin, et continue la corvée ménagère et poussive qui l'a amenée dans ce grand centre commercial. Une vague tendresse m'envahit pour cette très vieille femme pétrie d'amour pour son petit-fils, échouée dans une époque trop rapide pour elle. Accoudé à la barrière qui nous sépare de l'issue de secours, j'attends en souriant. L'affreux, lui, n'en a cure. Tout ce qu'il veut c'est sa bouteille.

Montrant des dons précoces pour l'infiltration en territoire ennemi, il choisit cette fois de passer derrière moi, silencieux et obstiné, pour s'en aller quérir l'objet de son désir. Une fois de plus, il revient tout sourire. Malin, il part en direction de la large allée du centre commercial, sous l'oeil bovin de la caissière qui n'est pas à une bouteille près. Mamie finira par poser la bouteille sur le tapis roulant, visiblement catastrophée à l'idée que l'on puisse lui imputer ce vol...

...l'affaire est dans le sac ! (ça, c'est pour ceux qui suivent !)

31 commentaires:

  1. Ta machine à trancher, serait-ce, par le plus grand des hasards, une Cinelli VBL40 ou VBL45 ?
    Alors, si tu lis attentivement la notice, tu verras que c'est une machine à trancher le paon pas le pain !

    Comme tu peux le voir, j'ai résolu le mystère du lien attaché à mon nom : il faut donner le "http" (contrairement à ce qui se passe chez scheiro, par exemple.

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  2. Aujourd'hui, fait froid,il pleut....et bien je commence la journée de très bonne humeur et en rigolant! Merci Sammy!
    Je te suggère quand même l'achat d'un couteau à pain et d'une planche à découper, rien ne vaut le travail artisanal fait soi-même par ses petites mimines !
    Et je suggère aussi à la mamie (si elle n'a pas trop d'arthrose!) un bon coup de pied au cul...

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  3. Cadillac cadillac ! ;-)

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  4. @ Christelle : excellent ! Mais comment fais-tu ?!

    @ Orion : Oula non ! Je suis bien trop maladroit ! Et pis il n'y a pas la place dans ma cuisine pour poser une planche à pain, alors, le découper, il faut encore moins y songer.

    @ Céline : :-D Coupine ^^
    Tu auras un bon point !

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  5. Et personne n'a ralé en constatant que tu mettais hors d'usage le matériel ? Tu en as de la chance ...

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  6. Sûrement est-ce parce que personne ne m'a vu...

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  7. Un régal; ces tartines ....Au moins, tu es prudent !!! Dans quel quartier cette ancienne boulangerie ? si ce n'est pas indiscret bien sûr !
    Amitiés "Sammy haché" en tranches de rire bien évidement....

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  8. Oh, il n'y a rien de bien secret là dedans, et si je ne te le disait pas, Christelle n'aurait de cesse de chercher dans tous les indices que j'ai pu laisser et tous les recoins du net pour trouver le nom de la rue ! ;-)

    Il s'agit de la rue de Jouvence, situé tout à fait en bas du quartier Montchapet, assez proche à pied du centre-ville, ce qui est très agréable.

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  9. Je ne connais pas vraiment, tu n'es pas loin de l'ancienne caserne Junot, tout doit se reconstruire par là !
    Amitiés

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  10. Ah ah ah : je me suis fait avoir en lisant trop vite : tu comprendras en voyant où je t'ai placé dans ma Revue de ce jour ;)

    Le titre à la Tati (Jacques) (Les vacances de Mr. Hulot) - le reste sur Google pour ceux qui ne connaitrait pas du tout ... - est tout à fait réjouïssant !

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  11. Figure-toi que cette boulangerie a résisté à toutes mes tentatives d'identification ! Je n'avais pas la plus petite amorce de solution... et j'avais abandonné, pour une fois :-)

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  12. @PH : Oui, les casernes ont presque toutes été rasées ; j'ai commis une petite chronique où je parle entre autre de la réhabilitation de la caserne Heudelet, récupérée par la communautée d'agglomération [/auto promo OFF]

    @Olivier : Eh oui ! C'est moi Monsieur Hulot ! Il s'agit d'un clin d'oeil à une chronique précédente en fait.

    @Christelle : Je vais mettre dans les Brèves une photo qui devrait satisfaire ton sens de l'investigation a posteriori ;-)

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  13. Comme toi Sammy j'accorde beaucoup d'importance à la forme des miches avant de les choisir. Quant aux boulangers qui vendent du pain de merde qui n'a aucun goût, aucune texture, qui est dur en quelques heures et qui augmente cinq centimes d'euros par cinq centimes, c'est bien fait pour eux !
    L'analyse des comportements des clients de supermarchés est un filon sans fin. Rien qu'à voir comment pousser un chariot...

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  14. Merci pour cette tranche ... de vie que je trouve (moi qui ne me suis pas battu avec la machine) bien amusante. Le ton est léger, en fin de journée, qu'est-ce que ça fait du bien! Ceci dit, as-tu bien regardé? L'anecdote est digne d'une caméra cachée! A bientôt!

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  15. @Maurice : et j'aime bien observer les gens dans les supermarchés, ça pourrait faire une chronique par semaine... C'est triste à dire, mais le pain de Carref*ur est meilleur que celui de la défunte boulangerie...

    @fc : maintenant que tu le dis, effectivement... je vais commencer à m'inquiéter...

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  16. J'ai beaucoup aimé...

    Je connais bien le monde de l'hypermarché, y étant assistante en environnement...

    Il est vrai que l'on pourrait faire de nombreuses chroniques sur le comportement aussi bien des clients que des employés...

    Bonne fin de journée.

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  17. Merci pour ton passage Laudith. Je pense effectivement qu'il faudrait que quelqu'un se dévoue pour faire un blog sur ce microcosme particulier, il y a beaucoup de choses à en dire...

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  18. hihi belle tranche de vie, alerte et bien enlevée
    J'ai beaucoup aimé Sammy

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  19. Merci Coum ! Ton passage me fait très plaisir !

    C'est le genre de chronique du quotidien que j'aime le plus écrire, mais on a pas tous les jours la chance de tomber sur des machines récalcitrantes et des gamins polissons...

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  20. ahaha, j'avoue avoir bien ri. Mais comment fais tu pour être aussi drôle? Ma soirée est illuminée.

    Mais personnelement, je préfère aller à la boulangerie de mon quartier pour acheter du pain. Peut être pour ne pas avoir à prendre sa voiture (et polluer!), peut être parceque j'aime voir la boulangère me tendre ses miches en souriant...

    Allez savoir!

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  21. Illuminée ? Et ça ne te gêne pas pour dormir ? :-D

    Merci pour ton passage, et dis bonjour à ta boulangère, j'en voudrais bien une comme ça :-p

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  22. Sammy : tu devrais demander à Paysan Heureux de te faire des colis de pain, il le fait lui même. S'il avait du coeur, quand même il le ferait non ?
    Ah les supermarkets quel monde ! Gratinée le môme ! A vous décourager.
    Tu n'as pas l'impression de toujours tomber sur la mauvaise file, la mauvaise caisse ?

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  23. Ben c'est vrai ça ! D'autant plus qu'il n'habite pas si loin, il pourrait faire un effort ^^
    Pour les supermarchés, c'est la théorie de Murphy qui s'applique à tous les coups : la file où tu n'es pas avance toujours plus vite...

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  24. "C'est le genre de chronique du quotidien que j'aime le plus écrire, mais on a pas tous les jours la chance de tomber sur des machines récalcitrantes et des gamins polissons..."

    Moi aussi c'est dans ce genre de chronique que je préfère te lire. Mais tu sais, pas besoin d'aventure extravagante pour exercer ce style, je suis sûre tu serais capable d'en faire autant sur des évènements insignifiants... Allez au boulot Sam ! ;-)

    (Hé, 24 commentaires sur cette note, ça a l'air d'aller mieux tes stats non ? :-D)

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  25. Comment tu as deviné que j'étais un peu à sec là ? :-D C'est vrai que rien de neuf depuis le 11 novembre, ça va finir par se voir... mais c'est affreux, on me force à travailler, ouiiiin ! Et je pourrais en raconter des choses ;-) mais ce serait diffamatoire ^^

    J'ai pourtant été faire à tour à Carrefour -la machine remarche, merci pour elle- mais il ne s'est rien passé... Mais tu as raison, je suis tout à fait capable de broder à partir de pas grand chose, mais il ne faut pas abuser du remplissage(!), expression léguée par une fidèle...

    (Et je ne la ressort pas pour me moquer, je le pense vraiment !)

    Mais bon... il est vrai aussi que mon lectorat qui s'accroît va râler si il n'a rien de neuf... Je vais m'y atteler ! Promis !

    Eh oui, il s'accroît ! Tu vas te moquer (nooon ?) mais je suis maintenant autour de 40 visites par jour. Août était le mois des dizaines, octobre celui des trentaines, novembre, c'est 40. Avec un peu de chance, on atteindra les 100 lecteurs quotidiens en mai ! Je ne manquerai pas de te tenir au courant !

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  26. Hum je suis pas sûre d'être d'accord (ça c'est de l'avis tranché hein) avec tes fidèles. Y en a qui ont tellement l'art du remplissage que ça en devient un vrai contenu, et je sais que t'en es capable !

    Tu faisais du ménage aujourd'hui ? Et bien voilà, on t'écoute ! ;-)

    Et fais gaffe, plus on s'arrête longtemps, plus le retour est dur...


    Pour tes stats, félicitation noble coco ! On va y arriver ! ;-)

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  27. Je t'ai pris au mot ! Je n'ai pas parlé du ménage, mais j'aurais pû... La chose est devenue au fil des lignes une évocation automnale dont je suis plutôt content. L'art du remplissage... merci Céline =)

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  28. ben dis donc on s'en paie un tranche ici. une tranche de FANTASIE.

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  29. Eh oui... merci de ton passage Vincent :)

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  30. le talent de raconter des choses anodines en un conte captivant ;)

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  31. Eh oui, c'est un bon résumé de ce que j'essaie de faire ! Mais merci de l'avoir dit à ma place, j'aime assez passer pour quelqu'un de modeste ! :-D

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