26 juin 2008

Une éternité d'argile, centième chronique

Shihuangdi a édifié un empire qui doit durer 10000 ans ; fils du ciel, il règne sur toutes choses, vivantes ou inanimées. Il rêve à des projets impossibles, les ordonne d'un mot, et ils deviennent réalité. Tout le monde s'incline devant lui, tout le monde lui obéit. Tout le monde, sauf la mort. Car cette personnalité charmante est agréablement agrémentée d'une peur panique de la mort, ou plutôt de son refus : le premier auguste souverain, après avoir accompli tant de belles choses, ne peut tout de même pas mourir comme le premier venu. Cet entêtement l'amènera à rechercher tantôt l'île des immortels, tantôt l'élixir de longue vie, s'entourant de magiciens, d'alchimistes, de devins et autres astrologues.

Il finira par mourir quand même d'un coup de froid mal soigné. C'est balot.

Mais, à défaut d'atteindre à l'immortalité, il s'était fait édifier un empire souterrain pour régner par delà le trépas. Un mausolée gigantesque, haut comme une colline, renfermant des trésors fabuleux protégés par des pièges ; des rivières de mercure, des constellations de perles, des oiseaux d'or et d'argent, des arbres de jade. Deux rivières ont été détournées pour le construire, et ce travail a nécessité la sueur et le sang de 700 000 hommes pendant 36 ans. Commencé en 247 av. J.C., il ne sera achevé que vers fin 211, soit un an tout juste avant la mort de son propriétaire. Ce qui prouve qu'à l'époque on savait tenir les délais de construction.


En surface, c'était tout un sanctuaire, avec ses bâtiments, son mur d'enceinte, son temple pour honorer la mémoire du disparu. Et ses boutiques de souvenirs pour rentabiliser l'ensemble. Avec l'empereur dans une boule en verre, qui neige quand on la retourne. Sous le niveau du sol, des fosses ont été creusées, qui renferment les colonnes d'une armée certes en terre cuite, mais gigantesque, avec ses fantassins, ses archers, ses officiers ; tous regardent vers l'Est, d'où pourraient revenir les âmes des ennemis autrefois combattus.

Sitôt le mausolée refermé, ses loyaux sujets, en proie à la plus vive douleur, s'empressèrent de montrer leur affliction en ne laissant pas pierre sur pierre de l'édifice, puis en brûlant ce qui restait. Mais c'est sans doute cet évènement qui a protégé les soldats de terre cuite : les galeries de bois qui les protégeaient se sont écroulées sur eux, laissant la terre et les siècles les ensevelir, effaçant de la mémoire des hommes jusqu'au souvenir de leur existence.


Après un sommeil de vingt-quatre siècles, les fosses et leurs soldats endormis ont été redécouvertes en 1974, par des paysans qui creusaient un puits. C'est du moins la version officielle. Au lieu de l'eau espérée, ils remontèrent une tête, ou alors un bras. Ou peut-être un morceau de jambe. En tout cas quelque chose de suffisamment grandiose, ancien et magnifique pour que l'on juge utile de creuser un peu. Depuis trente ans que les archéologues recollent les morceaux après les avoir déterrés, on commence tout juste à avoir une idée de l'ampleur de la découverte : ils sont des milliers qui dorment sous la terre, aux visages tous différents, avec leurs armes et leur équipement reproduit fidèlement.

Quelques uns sont exposés à la Pinacothèque de Paris, depuis le 15 avril dernier et jusqu'au 14 septembre. Venus de Chine enveloppés dans du coton, ils ne se montrent qu'entourés de gardes du corps ; un petit doigt cassé, c'est l'incident diplomatique. Un bras ou une jambe, c'est l'embargo sur les cuisses de grenouilles. Voilà pourquoi dans chacune des pièces où se trouve une statue, se trouve également son alter ego de chair et de muscle.


Un peu plus grands que nature, ils toisent une humanité qui s'étonne presque de les voir ainsi immobiles. Ils ont perdu leurs couleurs, quelques uns leur tête, on leur a pris leurs armes, mais ils sont toujours impressionnant. Les fantassins semblent prêts à reprendre leur marche, un lutteur impose sa masse et le respect aux badauds qui l'observent. Un officier aux bras croisés, aux veines bien dessinées, contemple les visiteurs avec ce regard calme et froid de ceux qui ont l'éternité pour eux.

Cette éternité que Shihuangdi n'aura peut-être pas cherché en vain.

Ma chronique est un peu longue, mais il n'en fallait pas moins pour ce terrible fils du ciel. Il est encore plus beau que ce soit la centième.

8 commentaires:

  1. Vraiment impressionnante cette armée...

    RépondreSupprimer
  2. ouais, c'était moi audessus ,mais je m'y retrouve plus trop avec cette nouvelle mode pour mettre un com.....

    RépondreSupprimer
  3. ça m'a toujours impressionné cette armée enterrée... Au fond, je ne sais pas ce qui m'impressionne le plus : la tendance légèrement mais si peu mégalomaniaque du souverain ou le fait de trouver belle une armée !! Parce que tout de même, 'quelle connerie la guerre' Prévert

    RépondreSupprimer
  4. On a lu des articles ici ou là sur cette immense cohorte armée, mais tu as su rendre la particularité, même indescriptible, de l'assemblage dont on ne sait s'il s'agit d'un délire ou d'une collection, d'une mise en scène ou d'un fantasme réalisé...

    J'ai vu hier soir un reportage à la télé (pubique ou privée, je ne sais plus, puisqu'il est soi-disant impossible de faire la différence) sur des milliers de "volontaires" aidant l'armée chinoise (actuelle), à 50 km de Pékin, à nettoyer le plan d'eau où doivent se dérouler, début août, les compétitions de bateau à voile : des algues vertes (comme en Bretagne dans certains coins) ont tout envahi, à cause de la pollution.

    Il faudrait faire appel à des renforts en terre cuite.

    RépondreSupprimer
  5. Cher Sammy, quand j'écris "télévision pubique", il s'agit évidemment d'une faute de frappe : je m'en voudrais d'enfoncer... le clou sur cette pelée, cette galeuse.

    Je me demande, à propos, si l'on peut trouver un véritable documentaire télévisé (plutôt sur Arte que sur TF1) sur cette armée toute pacifique ?

    Nul doute que Nicolas Sarkozy, qui repasse son short pour les J.O. de Pékin, n'impose alors sa rediffusion vite fait (il avait visité le site lors d'une excursion officielle en Chine).

    RépondreSupprimer
  6. Eh oui Tilu, je dois reconnaître que je change sans doute un peu trop souvent d'interface de commentaire, mais je finirai bien par trouver celle qui me plaira complètement ! Celle-ci me plait bien, je trouve que c'est assez pratique d'avoir tout sur la même page : le texte, les commentaires des uns et des autres, et son propre commentaire. Je crois quand même que ce qui me frappe en premier, c'est le côté mégalo du type. Mais quand on a vu ces soldats en vrai, on ne peut s'empêcher d'être frappé par leur "présence".



    Avis à la population : si vous préférez l'ancienne version, faites moi signe !

    C'est vrai Sandrine, je n'en avais pas conscience... nous sommes en train de trouver belle une armée ! En même temps, celle-ci n'est plus perçus qu'à titre d'oeuvre et/ou de trace des hommes du passé. Mais bon, tu as raison, c'est une armée quand même.

    Merci Dominique, je craignais un peu de n'avoir pas su retranscrire l'impression que l'on ressentait à voir ces soldats. Ce n'est pas une mauvaise idée de les embaucher pour donner un coup de main ici ou là... mais n'oublie pas qu'ils sont au service exclusif de l'empereur... et ne vont donc pas se mettre à bouger pour le premier roitelet venu.

    Même avec des talonnettes.

    Bonus : une petite vidéo sur l'exposition à la pinacothèque

    RépondreSupprimer
  7. les visages sont impressionnant de vie et d'expression figées ! 2 siècles av. JC ! Grandeur et décadence se succèdent donc ! PH

    RépondreSupprimer
  8. Oui PH, et c'est encore plus saisissant lorsqu'on les voie en vrai. Certains sont tellement réalistes qu'on les sent prêts à bouger. Désolé pour le cliché mais c'est exactement ça.

    RépondreSupprimer

Le formulaire qui apparaitra suite à votre commentaire est destiné à vérifier que vous êtes bien un être humain. Si vous avez quelque chose à dire, allez-y ! Si vous êtes un robot, bonne chance pour le test =)