21 mai 2009

Chronique du pessimisme joyeux

"La nature est le plus grand et le plus merveilleux des temples du Seigneur, surtout par temps sec." Cette citation d'Arto Paasilinna, extraite du Cantique de l'apocalypse joyeuse, pourrait être placée en exergue de chacun de ses livres. Non seulement la nature tient une place importante dans ses histoires, et les quatre romans lus jusqu'alors ne dérogent pas à la règle, mais elles sont toutes entières baignées dans l'humour, comme entourée de la brume échappée d'un sauna finlandais.

Deux de ces romans pourraient être qualifiés de road-movies animaliers : à chaque fois, c'est la rencontre entre un homme et un animal qui va décider du nouveau tournant donné au destin du héros. Dans Le lièvre de Vatanen comme dans Le bestial serviteur du pasteur Huuskonen, il s'agit de personnages assez désabusés, voire légérement cyniques, qui vont saisir le prétexte offert par l'animal (un lièvre pour le premier, et rien de moins qu'un ours pour le second) pour partir à l'aventure, délaissant un mariage raté, un travail décevant, une vie devenue trop morne ou trop routinière.

Dans Petits suicides entre amis, la vie n'est pas morne, ni routinière, elle est juste insupportable : le propos du roman est de raconter le périple d'une bande de suicidaires qui affrêtent un bus de grand tourisme pour une croisière définitive.

Dans tous les cas, en s'éloignant petit à petit de notre civilisation, les protagonistes finissent par se découvrir eux-mêmes, et bien entendu, comme dans tout road-movie, achèvent cette histoire transformés. Car l'important n'est pas le chemin que l'on parcoure dans l'espace mais celui que l'on fait en soi.

Leur vagabondage peut aussi être vu comme une métaphore de la liberté : celle d'hommes libérés de toutes les attaches, motivés principalement par la recherche du bonheur, quitte à rompre avec la société. Celle-ci est observée de l'extérieur, avec ses usages, ses règlements, ses lois qui deviennent tout à coup dérisoires. Si ce rejet affiché se veut dénonciation d'une certaine bêtise humaine, Le cantique de l'apocalypse joyeuse prend davantage des allures de fantasme moyen-âgeux prônant le retour au bon sens paysan.

Dans ce dernier roman, l'humour est plus que jamais présent, la brume échappée du sauna devient un épais brouillard de loufoquerie, sur la toile blanche duquel Paasilinna s'en donne à coeur joie pour dénoncer toutes les turpitudes de l'époque. Les bourses s'effondrent, les centrales nucléaires explosent, New-York se noie dans ses ordures et les églises se bâtissent sans permis de construire, bref, l'apocalypse menace, ce qui n'empêche pas la bureaucratie de continuer à produire sa paperasse, ni les évêques de consacrer les églises envers et contre tout. Même imbibés de gnôle.

Cette uchronie joyeuse et pessimiste se veut, plus encore que ses romans précédents, un plaidoyer pour un homme plus proche de la nature et une dénonciation d'une société dominée par la folie de l'argent. Ce retour à la nature prenant ici les apparences d'une communauté autarcique dont la prospérité ira croissant, à mesure que l'état général de la planète se dégradera. Mais l'important n'est pas là : au-delà de l'utopie forestière, Paasilinna tente une fois de plus de montrer ce qui est vraiment important à ses yeux : la solidarité, le travail, la sagesse. Le bon sens paysan.

Même après la fin du monde (le 24 novembre 2023, tenez-vous prêt), il est toujours temps de se mettre au travail : "On ne resta pas à s'étonner outre mesure des caprices du soleil de la Saint-Jean. Les Ukonjärviens trouvaient qu'il y avaient plus important à faire, dans ce monde, que regarder d'où venait la lumière. Dès le lendemain, ils partirent travailler aux champs, car les semailles attendaient. Il fallait se hâter, c'était déjà le solstice d'été."

Et si il ne pleut pas, on pourra déjeuner dehors, dans le grand temple de la nature.

***

Vous pouvez désormais retrouver cette chronique sur Livres-Coeurs, le club des lecteurs !

13 commentaires:

  1. Rhââ, quelle belle chronique.
    (non, mon "rhââ" n'est pas un salut au Dieu Soleil mais un râle d'admiration, un peu envieuse, ben voui, rien que d'avoir trouvé "pessimisme joyeux", ma jalousie s'exacerbe, j'ai un très mauvais fond :-) )
    Bon. Je vais demain à ma biblio, je sors une arme contondante et je dis "Un Arto Paasilinna ! Et vite !"
    (et si la police m'arrête je donne l'adresse de ce blog. Ais-je déjà mentionné mon très mauvais fond ?)
    :-)

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  2. Remarquable article sur le fond, et que dire de la forme.

    Tout cela me rappelle que je fais de plus en plus rare.

    Et maintenant que me prend l'envie de découvrir les livres d'Arto Paasilinna, ça risque de ne pas s'arranger.

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  3. Je garde un bon souvenir du "Lièvre de Vatanen". Cette chronique dont le titre m'a bien plu (sur Bloguer ou ne pas...) me fera sans doute ouvrir un autre Paasilinna.

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  4. chapeau !
    chapeau !
    chapeau bas !

    mon dieu au secours !!!!!

    :)

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  5. Tiens, je ne connais pas cet auteur et je sens à te lire que je pourrai me projeter dans ses mots. Peut-être, même qu'en le lisant j'arriverai à savoir si je suis une pessimiste joyeuse ou une optimiste tristounette.
    Je file pique niquer au fond du jardin à l'ombre d'un bel arbre venu se planter là tout seul : il m'offre le couvert de ses feuilles alors que je n'ai même pas fait l'effort de le planter ! La nature est une belle chose ;-))

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  6. Ce lièvre, qui gambade encore dans ma mémoire, a peut-être donné une idée à Claude Lanzmann ?

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  7. Après tout, on peut ajouter un deuxième commentaire ?

    Bravo pour cette analyse éclairante de l'oeuvre de cet écrivain subtil.

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  8. Bonsoir !
    Que j'aimerais avoir les mots, avoir le tempérament et la lucidité .........mais je n'ai que les maux qui se bousculent et brisent mes mots.......
    Jolies chroniques !
    Aunma

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  9. Qu'est se qu'il écrit bien ce Sammy.... Comment ça je l'ai déjà dit?.... ah ouais?... ben je le répète alors :-)

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  10. J'ai toujours autant de plaisir à vous lire, bonne continuation

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  11. hello... hapi blogging... have a nice day! just visiting here....

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  12. Finalement je dirai que je suis une optimiste joyeuse ! Oui, on s'en fiche un peu, mais bon... J'ai rien de bien intelligent à écrire;-)

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  13. Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, bonjour !

    Non, c'est nul comme début.

    Bonjour à tous ! Oui, c'est mieux comme ça.

    Je suis désolé de... non. Je sais que j'aurais dû répondre aux commentaires plus tôt mais... hum... et si je tentais une réponse globale plutôt que me perdre en vaines circonlocutions ?

    Bon, ben... merci à tous pour vos commentaires ! Vous n'aurez pas manqués de remarquer que je vous ai laissé le temps nécessaire pour lire les livres dont je traite, afin que vous puissiez vous faire votre propre opinion. Voilà ce qui s'appelle avoir le respect du lecteur ! Nous pouvons donc maintenant reprendre le cours normal de ces chroniques, qui se devra d'être grand et magnifique, comme de bien entendu.

    A bientôt !

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